
Trois fois reportées depuis 2022, les élections municipales auront lieu à partir du 4 mai, a annoncé mardi le ministre de l’Intérieur, Ahmad Hajjar.
Le ministre de l’Intérieur, Ahmad Hajjar, a annoncé mardi la tenue des élections municipales à partir du dimanche 4 mai. Le scrutin sera étalé sur quatre week-ends. Il prendra fin le dimanche 25 mai, date qui marque la fin du retrait israélien du Liban, en 2000.
Organisées tous les six ans, les municipales ont été reportées à trois reprises depuis 2022, sous divers prétextes. La dernière consultation populaire remonte à 2016.
En 2022, les élections ont été reportées d’un an, sous prétexte de difficultés logistiques et parce qu’elles coïncidaient avec les législatives de 2022. En 2023, des contraintes budgétaires ont été invoquées, mais des considérations politiciennes motivaient essentiellement l’ajournement.
Un troisième report a été décidé par le Parlement en avril 2024. Le mandat des conseils municipaux et des moukhtars a été prolongé jusqu'en mai 2025, à cause de “circonstances sécuritaires, militaires et politiques complexes” liées à la guerre menée par Israël contre le Hezbollah. Ce dernier report a suscité de vives objections de la part des députés opposés au Hezbollah.
De l’importance des municipalités
Au Liban, les municipalités jouent un rôle essentiel dans la gestion des affaires locales. Leurs responsabilités englobent l’entretien des routes, la gestion des infrastructures publiques telles que les écoles et les hôpitaux. Elles assurent également la collecte des déchets et veillent à la mise en place de services de protection sociale. Un fonctionnement efficace des conseils municipaux est donc vital pour renforcer la gouvernance locale et améliorer la qualité de vie des citoyens. Les conseils municipaux sont aussi souvent un indicateur des tendances politiques du moment, reflétant à un certain degré les dynamiques locales et nationales.
Élus au suffrage universel pour un mandat de six ans, leurs membres ne sont soumis à aucun quota confessionnel, contrairement aux parlementaires. Actuellement, le Liban compte 1.059 municipalités. Cependant, des centaines d’entre elles sont aujourd’hui soit dissoutes, soit paralysées en raison de la démission ou du décès de certains membres, ou même pour d’autres motifs.
Interrogé par Ici Beyrouth, le président de municipalité de Remhala dans le caza d’Aley, Michel Salamé Saad, explique à ce sujet que la gestion des municipalités varie en fonction de leur localisation, lorsqu’un conseil municipal est dissous. “Les villages relevant de la juridiction du gouvernorat sont placés sous l'autorité du mohafez (gouverneur). Par exemple, si les municipalités de Baabda et de Hadath sont dissoutes, leur administration revient au gouverneur. En revanche, pour les localités plus éloignées, comme celles du caza d'Aley, la dissolution de municipalités entraîne leur prise en charge par le caïmacam (préfet)”, affirme M. Saad.
La capacité des caïmacams à assurer une gestion locale efficace est toutefois limitée, d’autant plus que certaines régions enregistrent un nombre alarmant de municipalités dissoutes. M. Saad indique, de fait, que “dans le caza d'Aley, plusieurs municipalités, comme celles de Sofar, Dfoun, Aramoun, et Deir Qoubel, figurent parmi celles dissoutes. Au total, 15 municipalités de ce caza sont inopérationnelles, la majorité à la suite de démissions, ce qui constitue une injustice pour les habitants”.
Rivalités familiales ou politiques?
Contrairement aux législatives, dominées par les rapports de force entre partis et forces politiques, les élections municipales sont souvent structurées autour de dynamiques familiales et locales. Hormis les grandes villes comme Beyrouth, Tripoli, ou certaines agglomérations où l’influence des partis politiques est plus marquée, le vote municipal repose essentiellement sur les alliances claniques et les rivalités entre familles influentes. Sans être totalement absentes, les affiliations partisanes passent parfois au second plan, éclipsées par des logiques de proximité et de services rendus aux habitants.
Contacté par Ici Beyrouth, Élias Hankach, député du Metn (Kataëb), commente: “Au final, tout se traduit en politique” dans un pays comme le Liban, surtout que le paysage politique est actuellement en recomposition. Mais pour les partis, le défi reste de gérer les rivalités familiales “d’autant que les municipales donnent un avant-goût des législatives”, souligne M. Hankach.
Les partis restent ainsi impliqués dans le scrutin municipal, puisqu’ils y voient un enjeu stratégique. “En tant que députés, nous sommes responsables des régions et des villages qui nous ont accordé leur confiance lors des législatives. Nous ne pouvons pas permettre que la gestion des municipalités soit en contradiction avec nos luttes et notre vision politique pour le nouveau Liban”, insiste M. Hankach. Il cite l’exemple de l’union des municipalités du Metn, où un changement est primordial, pour assurer la gestion locale, après trente ans d’immobilisme.
Le responsable de la communication des Forces libanaises (FL), Charles Jabbour, note que c’est surtout “le tandem Hezbollah-Amal qui manifeste une certaine réticence à organiser des élections municipales”. Selon lui, “ce scrutin pourrait engendrer des tensions locales entre les familles”, proches des deux partis, dans les régions où ces derniers sont prédominants, “ce qui est difficile à contrôler”. Il ajoute que “la tenue des municipales mettrait en lumière la présence d’un courant chiite opposé à l’influence du tandem”. “Dans un contexte postconflit, marqué par la guerre et la destruction, le tandem craint les conséquences d’un tel scrutin” d’autant que le Hezb n’a pas atteint les objectifs de la guerre qu’il a lancée contre Israël, affirme-t-il.
M. Jabbour insiste: “Toutes les forces politiques doivent clarifier leur position: soit elles assument la responsabilité d’un report, soit elles s’engagent à respecter les délais.” “Pour nous (FL), les municipales sont d’une importance capitale. Nous nous préparons activement à ce scrutin, d’autant plus qu’il s’inscrit dans une vision plus large de la décentralisation administrative, un projet sur lequel nous travaillons résolument”, ajoute-t-il.
Quid du Liban-Sud?
La situation au Liban-Sud, où de nombreux villages ont été détruits après la guerre entre le Hezbollah et Israël, pose un défi logistique et politique important pour le nouveau gouvernement. Des solutions, comme l’aménagement de centres de vote alternatifs (megacenters) seraient les plus probables.
M. Hajjar a confirmé que son ministère prendra toutes les mesures nécessaires pour garantir la participation de tous les citoyens au scrutin, y compris dans les zones détruites et occupées. En fin de compte, “un nouveau mandat ne peut pas décoller sans respecter les échéances constitutionelles”, commente M. Hankach. Cet avis est également partagé par Charles Jabbour. “Le scrutin est un test crucial pour le nouveau pouvoir. Celui-ci veut montrer que le Liban entre dans une nouvelle phase au cours de laquelle les échéances constitutionnelles seront respectées”, souligne-t-il.
“Il n’y a pas de plan clair pour l’instant puisque ce sujet relève d’une décision politique qui doit être prise au niveau du ministre de l’Intérieur, du président de la République, du Premier ministre et du gouvernement. C’est une question de jours avant que la date des élections soit annoncée”, estime cependant M. Hankach.
De son côté, M. Jabbour insiste: “Plus aucun prétexte ne justifie un report. Ni crise financière ni guerre ne peuvent servir d’excuse aujourd’hui.”
Face au défi au sud du pays, une question se pose: comment le tandem précisément gérera-t-il le scrutin? Acceptera-t-il l’organisation des élections dans des centres de vote situés en dehors des localités sous son influence, ou plaidera-t-il pour un report du scrutin dans ces zones?
Il convient de rappeler que le président du Parlement, également chef du mouvement Amal, Nabih Berry, ainsi que le Hezbollah avaient rejeté l’année dernière une proposition d’organiser les municipales à l’échelle nationale et d’en exclure les villages touchés par la guerre.
Mais pour M. Jabbour, la tenue des élections dans les villages détruits, quitte à ce que le vote se déroule ailleurs, reste essentielle pour gérer le processus de reconstruction. “Les nouveaux conseils municipaux seront chargés de superviser et de veiller à une reconstruction structurée et durable”, explique-t-il.
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