Ghada Aoun: une retraite sous le sceau des frasques judiciaires
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Elle aura poursuivi sa cabale judiciaire jusqu’au dernier jour, avant la fin officielle de ses fonctions au sein de la magistrature. Le 1ᵉʳ mars 2024, la procureure près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, démise de ses fonctions en mai 2023 par le Conseil de discipline de la magistrature, a pris sa retraite. Fidèle à sa ligne de conduite, elle n’aura toutefois pas quitté la scène sans un dernier coup d’éclat: bien que démise de ses fonctions, elle a déposé une nouvelle plainte de dernière minute contre l’ancien Premier ministre Najib Mikati, son frère Taha Mikati, l’ex-gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et d’autres, pour blanchiment d’argent.

Ce geste, qui s’inscrit dans le cadre de ses actions “spectaculaires” et largement controversées, soulève une question cruciale: qu’adviendra-t-il de l’ensemble des procédures qu’elle a engagées, notamment depuis qu’elle a été démise de ses fonctions?

Un legs judiciaire sous tension

Durant les dernières années de sa carrière, particulièrement après le soulèvement du 17 octobre 2019 contre le pouvoir en place, dont Mme Aoun était proche, la procureure s’est illustrée par des poursuites judiciaires qui ont souvent pris une tournure éminemment politique. Proche du Courant patriotique libre (CPL), elle a régulièrement ciblé des personnalités associées à ses opposants, ignorant, sous divers prétextes, d’autres plaintes et recours, contre ce courant ou ses alliés. Ses manœuvres, qui ont gravement porté préjudice à la justice libanaise, ont divisé l’opinion: pour ses partisans, elle incarnait une justice implacable, tandis que ses détracteurs l’accusaient de mener une croisade sélective, motivée par des intérêts politiques.

Aujourd’hui qu’elle a quitté ses fonctions, l’avenir des dossiers qu’elle a ouverts pourrait sembler incertain. Plusieurs fois convoquée devant le Conseil disciplinaire, elle avait refusé de se présenter, ce qui avait alimenté les critiques de ceux qui l’accusaient de se placer au-dessus des règles qu’elle imposait aux autres.

S’il revient actuellement au juge d’instruction de Baabda, Nicolas Mansour (proche du CPL), d’étudier les dossiers en question, celui-ci pourrait procéder à un “revirement” dans ses prises de position et “accepter les recours présentés par les parties prenantes contre les décisions de Mme Aoun, pour vices de forme et de fond”, comme le souligne l’avocat Mark Habka, interrogé par Ici Beyrouth (IB).

La raison en est simple. Au lendemain de l’élection d’un nouveau président de la République et de la formation d’un nouveau gouvernement, le CPL, dont sont proches M. et Mme Aoun, a perdu une grande partie de son influence, ne comptant aucun ministre dans le cabinet actuel. La nouvelle administration pourrait freiner les procédures engagées par cette dernière. M. Mansour serait donc susceptible de reléguer les plaintes de la juge au second plan, de les classer sans suite ou de les rejeter.

Il convient de souligner, à cet égard, que plusieurs affaires initiées par Ghada Aoun ont été pointées du doigt pour leurs bases juridiques contestables.

Entre vices de procédure, excès de zèle ou conflits de compétence, les moyens susceptibles d’être invoqués pour justifier l’abandon de ces dossiers ne manquent pas.

Quelles suites?

Le départ à la retraite d’un magistrat signifie la fin de son implication dans les dossiers qu’il a instruits. La juge ne peut donc plus relancer elle-même les procédures ni intervenir directement. “Son influence ne s’éteint toutefois pas totalement”, indique-t-on de source judiciaire. Mme Aoun pourrait, en effet, comme elle a l’habitude de le faire, et contrairement aux principes que lui dicte son métier de magistrate, utiliser les médias (qui lui sont favorables) ou les réseaux sociaux pour maintenir la pression et dénoncer une éventuelle obstruction judiciaire aux dossiers.

Par ailleurs, et selon la source susmentionnée, le CPL et ses alliés pourraient faire de son “combat” leur cheval de bataille, en insistant sur la nécessité de poursuivre les affaires qu’elle a ouvertes, afin de tenter de se repositionner sur une scène politique qui ne leur appartient plus.

En outre, et si certains de ces dossiers venaient à être classés, des ONG (comme l’association Sherpa qui a longtemps soutenu Mme Aoun) ou des parties civiles pourraient saisir la justice pour demander leur réexamen.

Les permutations judiciaires qui devraient avoir lieu dans un délai d’un mois (comme précisé par M. Habka) seraient déterminantes quant au successeur de la procureure, qui, sur base du principe de l’autonomie judiciaire, pourrait lui-même revoir les dossiers.

 

 

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