A la frontière entre le Liban et la Syrie, une crise complexe aux racines profondes
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Depuis la chute du régime de Bachar el-Assad, en décembre 2024, la frontière syro-libanaise, en particulier la zone située à l’est du Liban, est devenue le théâtre de violents accrochages entre les forces de Hay’at Tahrir el-Cham (HTC) et des tribus libanaises. Si les événements récents ne sont pas isolés, ils marquent un tournant pour cette région déjà secouée par des décennies de conflits.

Tout a commencé le 6 février dernier, lorsque des unités armées d’HTC ont pris le contrôle de la localité de Hawik, un village aux habitants libanais, situé du côté syrien de la frontière, déclenchant une série de combats avec les tribus libanaises de la région, notamment les clans Zeaiter et Jaafar. Comment comprendre les causes sous-jacentes à ce conflit et quels en sont les enjeux?

Une délimitation problématique

La chute du régime de Bachar el-Assad a été problématique pour certaines régions frontalières, d’autant plus qu’avec l’arrivée au pouvoir d’Ahmad el-Chareh en Syrie, HTC œuvre aujourd’hui à renforcer sa présence, d’une part pour affirmer son influence et, d’autre part, pour contrôler les routes de la contrebande, notamment du Captagon, une drogue largement produite et distribuée dans la région.

Ayant longtemps exercé une mainmise sur ces routes, avec l’accord implicite du président syrien déchu, Bachar el-Assad, les tribus libanaises perçoivent actuellement la montée en puissance d’HTC comme une menace directe pour leur autonomie et leurs “activités économiques”, mais aussi pour leurs liens avec leurs familles qui résident de l’autre côté de la frontière.

“Si les développements récents en Syrie ont constitué l’élément déclencheur du conflit actuel, les tensions frontalières remontent à l’époque du Grand Liban, qui précède l’indépendance du pays en 1943”, explique le général à la retraite, Khalil Hélou. Interrogé par Ici Beyrouth (IB), l’expert militaire rappelle que “la délimitation officielle des frontières, qui a commencé avec l’accord Paulet-Newcombe de 1923, ne concernait que le sud du Liban. Pour ce qui est du nord et de l’est du pays, notamment les régions de Wadi Khaled et de Chebaa, aucun tracé définitif n’a été établi”. Ainsi, dans les villages allant d’Al-Qusayr à Jabal Akkoum, en Syrie, les Libanais qui y résident depuis des décennies ont des liens étroits avec ceux de l’autre côté de la frontière, notamment dans les localités d’al-Qasr, de Qanafez, d’Akroum et des zones avoisinantes.
 


 

Avant la prise du pouvoir d’HTC, ces habitants traversaient librement la frontière et entretenaient des relations économiques, sociales, voire familiales avec leurs voisins syriens. “Aujourd’hui, ces relations sont perturbées par la montée en puissance du groupe syrien qui cherche à imposer sa propre souveraineté dans la région, ce qui rend l’issue du conflit particulièrement incertaine”, indique M. Hélou.

Le rôle du Hezbollah et l’intervention de l’armée libanaise

Bien que le Hezbollah ne soit pas directement engagé – selon le général Hélou – dans les affrontements entre HTC et les tribus libanaises, son rôle dans cette dynamique reste crucial. La formation iranienne, qui a joué un rôle central dans le soutien au régime d’Assad, pourrait voir dans l’expansion d’HTC une menace pour ses activités transfrontalières. “Il ne semble toutefois pas avoir les capacités ou l’intérêt d’intervenir directement dans cette zone particulière”, note l’expert militaire.

En revanche, l’armée libanaise, qui a été déployée pour sécuriser la frontière et gérer les affrontements, a joué un rôle de médiation, tout en réaffirmant sa neutralité vis-à-vis de tout conflit direct avec la Syrie, comme le souligne M. Hélou. Le président libanais, Joseph Aoun, a d’ailleurs pris contact avec son homologue syrien, Ahmad el-Chareh, pour assurer une gestion conjointe des tensions frontalières, chacun s’engageant à assumer ses responsabilités des deux côtés de la ligne.

Des solutions politiques nécessaires

Si la situation frontalière libano-syrienne présente des enjeux stratégiques et géopolitiques majeurs, elle met également en lumière la nécessité de trouver une solution politique durable. La délimitation des frontières avec la Syrie, qui a fait l’objet d’études dans le passé, notamment sous le règne de l’ancien président de la République, Michel Sleiman, reste une question en suspens.

“Les solutions proposées incluent la remise à jour du document prôné par M. Sleiman, mais cette démarche devrait également prendre en compte, en plus des considérations géographiques, les réalités sociales et humaines”, précise M. Hélou. Selon lui, “un règlement de cette question devrait être entrepris dans le cadre d’un dialogue politique impliquant le Liban, la Syrie, les Nations unies et la Ligue arabe”. Et M. Hélou d’ajouter que “toute tentative de résoudre ces problèmes uniquement par des actions militaires ou par la fermeture des frontières risquerait d’aggraver la situation”. Quelle approche adoptera donc le nouveau gouvernement pour la prise en charge de ce dossier?

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