![Le Collège de La Salle du Caire accueille le 5e colloque des écoles catholiques francophones du Moyen-Orient](/images/bibli/1920/1280/2/le-college-de-la-salle-du-caire.jpg)
Ils sont 400.000, dont la moitié vivent au Liban, à boire aux sources de la francophonie et à s’imprégner d’une culture, d’une richesse et d’une variété sans égale.
Enseigner à ces 400.000 élèves et leur transmettre les valeurs du vivre ensemble, alors que la moitié d’entre eux envisagent leur avenir en dehors de l’espace francophone arabe où ils ont grandi, est l’un des constats les plus amers du 5e colloque des écoles catholiques francophones qui vient de se tenir au Collège de La Salle, au Caire (6-7 février).
Organisée à l’initiative de L’Œuvre d’Orient, la conférence s’est donnée pour titre “Transmettre dans l’épreuve”, ce qui correspond parfaitement à l’actualité politique d'une région du monde qui se vide peu à peu de ses élites.
La conférence s’est tenue en présence de quelque 470 chefs d’établissements et représentants de 300 écoles venus de l’espace arabe francophone (Liban, Syrie, Jordanie, Irak, Égypte, Territoires palestiniens et Turquie).
Marqué par plusieurs tables rondes, le colloque s’est ouvert en présence du patriarche copte catholique, Ibrahim Ishak, du nonce apostolique au Caire, Mgr Nicolas Thévenin, de l’ambassadeur de France au Caire, Éric Chevallier, de l’écrivain Robert Solé, de Charles Personnaz, président du Fonds des écoles d’Orient et bien entendu de Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de L’Œuvre d’Orient.
Les chiffres avancés plus haut donnent une idée des menaces qui planent sur un espace que l’action de L’Œuvre d’Orient tient à bout de bras, grâce en partie à des fonds publics français obtenus au titre de la francophonie. Au Liban, les écoles francophones religieuses et laïques sont au nombre de 63, dont seulement 40 sont catholiques. Ces dernières scolarisent 20% des élèves libanais, les autres étant laïques ou communautaires, mais non-chrétiennes (Makassed, Orfan, Mahdi, etc.). Mais toutes font l’expérience des mêmes difficultés.
Intervenant majeur du colloque, le P. Joseph Nasr, président du Secrétariat général des écoles catholiques au Liban et dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), a défini dans une présentation quatre catégories de difficultés qui pèsent sur l’enseignement francophone au Liban: instabilité politique, pauvreté, émigration et minorisation des chrétiens. “Par minorisation, a-t-il expliqué, j’entends ce phénomène en vertu duquel les chrétiens sont placés dans l’obligation de vivre et d’évoluer dans des milieux étrangers à leur culture.”
Ces difficultés se rencontrent avec des variantes propres à chaque région. Mais, à première vue, les défis venus des contingences politiques et économiques surclassent les défis purement académiques.
“Cette région a-t-elle vocation à être en crise perpétuelle?” s’est interrogé à ce sujet Mgr Gollnisch, sensible aux bouleversements qui marquent le Moyen-Orient et introduisent un élément d’instabilité qui fausse toutes les prévisions. “Nous travaillons avec des jeunes dont l’âge est celui des crises et des choix. C’est notre travail de les accompagner”, a-t-il encore souligné.
Défis académiques
Aux défis venus des contingences, s'ajoutent les défis académiques et éducatifs, les salaires, le manque de moyens, l’encadrement administratif et professoral, l’impact de la technologie et du monde numérique, etc.
À cet égard, le témoignage de sœur Marcelle Karam, présidente du bureau pédagogique des religieuses de la Sainte Famille de saint Vincent de Paul et responsable du bureau pédagogique des Sœurs de la Charité, vaut pour presque tous les établissements scolaires du Liban: le corps enseignant est sous-payé en raison de l’effondrement de la valeur de la livre libanaise, et la compensation en dollars qu’il reçoit est aléatoire, puisque les parents, qui en sont l’unique source, n’en ont pas tous les moyens. On tourne là, à l’évidence, dans un cercle vicieux qui ne peut être rompu sans sacrifices.
Au défi de la concurrence de l’anglais, l’écrivain franco-égyptien Robert Solé a apporté une réponse que les Libanais devraient accueillir avec joie: “Défendre le français, c’est défendre le pluralisme contre l’uniformité. Il ne s’agit pas de se détourner de l’anglais. Je dis toujours aux élèves combien il est important de bien maîtriser l’arabe, l’anglais et une langue de culture choisie, comme le français. L’avenir appartient aux trilingues!”
De son côté, l’ambassadeur de France, Éric Chevallier, a insisté sur “l’importance du vivre ensemble et du sentiment de fraternité entre les communautés, qui leur permet de continuer à vivre la diversité et le pluralisme qui caractérisent cette région”.
Pour illustrer cette vérité, sœur Marcelle Karam a souligné que dans l’une de leurs écoles de la banlieue sud de Beyrouth qui a été bombardée, sur 700 élèves, il y a seulement 14 qui n’appartiennent pas à la communauté chiite.
Mais le défi le plus grand lancé aux jeunes orientaux francophones, et aux catholiques d’entre eux encore plus particulièrement, est celui de “l'invasion silencieuse” des réseaux sociaux.
La réponse magistrale à ce défi est venue du nonce apostolique, Nicolas Thévenin, qui a affirmé: “Il ne sert à rien d’interdire sans éduquer d’abord. Nous vivons dans un monde très permissif, et nous ne devons pas penser que nos sociétés seront toujours à l’abri de son influence. Avec les réseaux sociaux, il n'est pas nécessaire d'attendre une génération pour manipuler les jeunes, et il n’y a plus de différence entre zones rurales et zones urbaines. Il faut donc aider les écoles et les parents à mieux éduquer les jeunes à la liberté. Le jeune qui comprend qu’il peut devenir esclave de faux besoins, ou d’un besoin exagéré de reconnaissance, devient plus conscient de la nécessité de mettre des limites à ce qui lui est proposé par les réseaux sociaux. Il saura ne pas dépendre des opinions des majorités par crainte de ne pas être dans le groupe. Il apprendra ‘la politesse du cœur’, en mettant son intelligence au service du cœur. C’est le rôle de l’école catholique de le rappeler aux parents, d’apprendre aux jeunes à assumer la responsabilité de leurs actes et de leurs erreurs.”
Des mots indispensables dans un colloque de grande richesse.
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