Que reste-il de l’arsenal du Hezbollah?
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À deux jours de l’expiration du délai de 60 jours du cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël, deux questions se posent: que reste-t-il de l’arsenal de la formation pro-iranienne qui était supposé être démantelé durant cette période? Le Hezb a-t-il encore la capacité de mener des opérations contre l’armée israélienne qui ne va pas se retirer totalement du Liban, passé ce délai?

Ce qui est certain, c'est que la quantité exacte des armes du Hezbollah et le nombre de ses combattants ont toujours été difficiles à cerner. Le caractère non étatique de la formation pro-iranienne et l'omerta dont elle s’entoure font qu'aucune statistique précise ne peut être établie à ce niveau.

Israël a annoncé vendredi que le retrait progressif de ses troupes du sud du Liban “se poursuivrait” au-delà du délai de 60 jours prévus par l'accord de cessez-le-feu, qui se termine dimanche, estimant que le Liban n'avait pas “totalement” respecté ses engagements.

De leur côté, les autorités libanaises n’ont toujours pas donné d’indications officielles sur la progression du déploiement de l’armée au Liban-Sud ou le nombre de sites militaires illégaux démantelés dans la région.

Plusieurs facteurs à prendre en considération

Cependant, l’évaluation des capacités du Hezbollah ne se limite pas aux armes dont il dispose encore. “Outre l’arsenal existant, il s’agit de savoir s’il est capable de se réapprovisionner, de reconstituer ses stocks, d’avoir les fonds nécessaires, de se réorganiser en termes de potentiel humain, c’est-à-dire de remplacer les morts et les blessés par de nouvelles recrues. Il s’agit aussi de voir quelles sont les opportunités de retour au combat, tout en tenant compte du contexte politique régional et mondial actuel”, fait valoir, dans un entretien avec Ici Beyrouth, le général à la retraite Khalil Hélou.

Pour ce qui est de l’arsenal du Hezb, le général Hélou souligne qu’il est “quasi impossible de savoir combien de missiles il possédait avant la guerre” et relève que “les chiffres avancés par différentes sources sont contradictoires”. “De sources occidentales, on évoquait 50.000 missiles, tandis que le Hezbollah parlait de 150.000 et qu’un ministre iranien a avancé pendant la guerre le chiffre d’1 million”, ajoute-t-il.

D’une perspective purement mathématique, mais qui reste à examiner “avec prudence”, le général Hélou estime que “durant les 14 mois de guerre, le Hezb tirait en moyenne une centaine de missiles par jour, soit environ 40.000 missiles au total. Les Israéliens affirment pour leur part avoir détruit entre 70 et 80% du stock de missiles du Hezbollah. Si l’on se base sur le chiffre de 150.000 avancé par le Hezb, desquels on retire les 40.000 tirés et ceux détruits par les israéliens, il resterait en sa possession au moins entre 20.000 et 30.000 missiles”.  

Un réapprovisionnement toujours plus difficile

Il est indéniable que la chute du régime de Bachar el-Assad a eu un impact considérable sur le réapprovisionnement de la milice pro-iranienne qui recevait ses cargaisons via les ports et aéroports syriens. “Aujourd’hui, bien que le Hezbollah puisse recourir à certaines méthodes clandestines, et malgré le fait que les frontières libano-syriennes restent perméables, il lui est quasi impossible de se réapprovisionner comme avant, d’autant que plusieurs tentatives d’acheminement d’armes vers le Liban ont été déjouées par les nouvelles autorités syriennes” souligne le général Hélou.

Il affirme qu’”il faudra des années au Hezb pour reconstituer ses forces s’il parvient à adopter la même stratégie et les mêmes objectifs”.

Il convient de rappeler que le Hezbollah avait déclaré qu’il produisait localement ses propres engins, ce que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, avait confirmé devant l’assemblée générale de l’ONU, en septembre dernier. 

Le général Hélou explique, dans ce contexte, que “dans le passé, les Iraniens avaient procuré au Hezbollah les matériaux nécessaires à la transformation des missiles inertiels Fateh 110 en missiles Zalzal intelligents et à triple guidage. Le Hamas produisait également ses propres engins explosifs alors même que la bande de Gaza était encerclée”.

Recourir à ce même procédé aujourd’hui s’avère difficile. Le général Hélou rappelle que “les Iraniens et le Hezb engageaient des négociations avec des clans arabes présents dans le Sinaï pour faire parvenir les armes au Hamas. Leurs équivalents, des nomades de clans arabes, se trouvent dans de larges zones désertiques de Syrie et d’Irak qui ne sont contrôlées par aucune partie. Les milices iraniennes pourraient y recourir, mais en l’absence du régime syrien et avec la surveillance israélienne, le réapprovisionnement sera beaucoup plus difficile”, estime-t-il.

Réorganisation de la structure

D’autre part, “la réorganisation de la structure du groupe et l’entraînement du personnel et des nouvelles recrues, bien que possibles, ne seront plus aussi faciles avec la surveillance israélienne accrue”, constate le général.

De plus, le Hezbollah “n’est certainement pas enclin à engager une nouvelle guerre” avec Israël, laquelle serait encore plus désastreuse pour lui. “Il va donc essayer de tirer des leçons du passé pour adopter de nouvelles tactiques militaires”, estime-t-il, ajoutant que “le Hezbollah tentera de gagner du temps pour se reconstituer, via notamment des manœuvres politiques et sociales et des blocages au niveau interne”.  

Contexte politique régional défavorable

Le contexte régional et mondial actuel est défavorable à l’axe iranien. Le président américain, Donald Trump, se veut intransigeant vis-à-vis de la République islamique. Les Européens sont embourbés dans la guerre en Ukraine et souhaitent une stabilité au Liban et en Syrie pour limiter les flux migratoires. Idem pour les pays du Golfe, qui cherchent à tout prix à éviter une éventuelle résurgence de Daech (groupe État islamique) en Syrie et dans la région”, poursuit-il.  

Selon le général Hélou, trois scénarios sont possibles: un accord américain avec l’Iran en vertu duquel Téhéran accepterait le désarmement de ses proxys. Le maintien de la présence israélienne au Liban-Sud, auquel cas le Hezbollah aurait recours à certains tirs démonstratifs intermittents, toujours en jouant sur le temps. Enfin, il y a l’option de la pression maximale qui consiste en une éventuelle frappe contre les installations nucléaires iraniennes, et, dans ce cas, le front libanais risque de s’embraser de plus belle.

Le général Hélou écarte cependant la possibilité que Téhéran accepte que les milices qu’il finance dans la région soient désarmées.  

Le Hezb et le gouvernement

Contacté par Ici Beyrouth, Riad Kahwaji, analyste en sécurité et défense au Moyen-Orient, basé à Dubaï et directeur de l’Institut d’analyse militaire du Moyen-Orient et du Golfe (Inegma), met l’accent sur le fait que les armes du Hezbollah n’ont pas de raison d’être, d’autant qu’elles “n’ont ni protégé le Liban ni dissuadé Israël”, deux éléments avancés par la formation pro-iranienne pour justifier son arsenal illégal. Selon M.Kahwaji, le Hezbollah chercherait aujourd’hui à préserver ce qui reste de ses capacités militaires, “dans l’attente de changements régionaux qui lui permettraient de les renflouer grâce aux fonds en provenance de l'Iran”. Pour y parvenir, le Hezbollah cherche aujourd'hui à s'imposer au sein du nouveau Cabinet à travers lequel il œuv rerait pour essayer de protéger ses armes, estime-t-il.

“À la lumière des grands changements au Liban et dans la région, les règles du jeu ont changé. L'État libanais, avec sa nouvelle direction, ainsi que les autres forces chiites, doivent convaincre le Hezbollah de reconnaître et d’accepter cette réalité”, souligne M. Kahwaji. Selon lui, il faut que “des conditions soient imposées à la participation du Hezbollah au nouveau gouvernement, notamment qu’il accepte l'application de la résolution 1701 et de l'accord de cessez-le-feu au sud et au nord du Litani”, autrement dit sur la totalité du territoire libanais. Et M. Kahwaji d’ajouter: “Il n'est plus acceptable, tant au niveau interne qu'international, de permettre au Hezbollah d’exploiter sa participation à l’État pour reconstruire son entité autonome au service d'un projet externe et idéologique”.

 

 

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