Retourner ou rester? Les Syriens en Turquie confrontés à un avenir fracturé
Un couple syrien s'inscrit dans une clinique médicale syrienne dans le district de Fatih à Istanbul, le 6 décembre 2024. ©Ozan KOSE / AFP

Plus de 50.000 Syriens réfugiés en Turquie ont regagné leur pays depuis la chute de Bachar el-Assad en décembre. Mais pour nombre des quelque 2,9 millions toujours présents, l'appréhension du retour demeure.

À Altindag, banlieue du nord-est d'Ankara où beaucoup de Syriens sont installés, Radigué Mouhrabi, mère de trois enfants dont un nouveau-né, ne peut envisager pour l'instant de rentrer en Syrie où "tout est si incertain".

"Mon mari travaillait avec mon père dans son magasin de chaussures à Alep. Le magasin a été détruit. On ne sait rien sur d'autres possibilités de travail, ni de l'école des enfants", expose-t-elle.

La deuxième ville de Syrie (nord-ouest) a beaucoup souffert des affrontements entre les rebelles et le pouvoir soutenu par la Russie.

Pourtant, le quotidien en Turquie est loin d'être facile pour les Syriens, discriminés, parfois attaqués et régulièrement ciblés par les politiciens qui les menacent d'expulsion.

Une flambée de violence en août 2021 avait ciblé des commerces et des logements occupés par des Syriens à Altindag.

Basil Ahmed, un réparateur de moto âgé de 37 ans, se souvient de la peur de ses deux enfants, âgés de dix et huit ans, lorsque des assaillants ont cassé les vitres de sa maison.

Malgré tout, il ne songe pas au retour dans l'immédiat.

"Plus la même Syrie"

"Nous n'avons rien à Alep. Ici, malgré les difficultés, nous avons une vie", justifie-t-il. "Mes enfants sont nés ici, ils n'ont jamais connu la Syrie".

"La principale raison pour laquelle les réfugiés ont fui la Syrie était le régime de Bachar el-Assad. Après sa chute, beaucoup sont motivés pour rentrer, mais la Syrie qu'ils ont quittée n'est plus la même Syrie", relève Murat Erdogan, chercheur spécialisé dans les migrations.

"Personne ne peut prédire l'évolution de la nouvelle administration syrienne. On ne sait pas comment son autorité sera assurée, jusqu'où ira Israël ni comment évolueront les affrontements près de la frontière turque (avec les combattants kurdes, ndlr). L'absence de sécurité constitue un handicap majeur", ajoute-t-il.

À ces incertitudes s'ajoute la destruction des localités et des infrastructures due à plus de treize ans de guerre civile, l'électricité encore rare, le difficile accès aux services de santé, ruinés, au logement.

Dans les locaux de l'Association pour le développement social (SGDD-ASAM), qui offre des ateliers et conseils aux réfugiés, Rahseh Mahrouz, adolescente de 16 ans, sait qu'elle ne retrouvera pas à Alep, où ses parents ont décidé de rentrer, les cours de musique qu'elle suivait à Ankara.

"Pas de liens" 

"Tous mes souvenirs, mes habitudes sont ici. Il n'y a rien là-bas, même pas de courant ou d'Internet. Je ne veux pas partir, mais ma famille a décidé ainsi", déplore-t-elle.

"Parmi les 2,9 millions de Syriens en Turquie, 1,7 million ont moins de 18 ans. (...) La plupart de ces jeunes n'ont pas de forts liens affectifs, psychologiques et sociaux avec la Syrie. Ils ont une idée de la Syrie basée sur ce qui se raconte dans leurs familles", explique Ibrahim Vurgun Kavlak, directeur de l'association.

"Environ 816.000 enfants syriens sont scolarisés en Turquie. Ces enfants ont reçu une éducation en turc depuis des années, certains ignorent même l'arabe", ajoute Murat Erdogan.

En visite lundi et mardi en Turquie lors d'une tournée régionale, la commissaire européenne chargée de la gestion des crises, Hadja Lahbib, a affirmé à l'AFP partager "l'incertitude que ressentent les réfugiés".

"La situation est instable, elle est changeante, nul ne sait dans quelle direction elle va évoluer", souligne-t-elle.

"Je suis venue avec 235 millions d'euros d'aides aux réfugiés syriens, en Syrie et dans les pays limitrophes, dont la Turquie et la Jordanie et pour les rencontrer, voir ce qui les inquiète, comment y répondre", ajoute-t-elle.

Un éventuel départ massif des réfugiés syriens suscite aussi des inquiétudes dans les secteurs qui les emploient, souvent pour pas cher et au noir, comme le textile ou le bâtiment.

Mais pour Murat Erdogan, après le choc que l'économie turque pourrait encaisser en cas de départs en masse, la fin de "l'exploitation de cette main d'œuvre pas chère", pourrait à terme profiter à la Turquie.

"On ne peut poursuivre un modèle de développement basé sur l'exploitation", estime-t-il.

Par Burcin Gercek / AFP

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