Un nouveau triptyque en vue, celui des réformes
©Ici Beyrouth

Les Libanais attendent avec impatience de connaître l’architecture de la première équipe ministérielle du mandat du président Joseph Aoun. Pour reprendre les propos du président français, Emmanuel Macron, lors de sa visite vendredi à Beyrouth, la composition du gouvernement doit se situer “dans le prolongement de l’élan donné par le discours d’investiture” du président Aoun, le 9 janvier. En d’autres termes, l’équipe de Nawaf Salam doit pouvoir mettre en œuvre les engagements pris par le chef de l’État, grâce auxquels les Libanais ont eu le sentiment, pour la première fois depuis de nombreuses années, qu’un changement auquel ils avaient cessé de croire était possible. La composition du gouvernement donnera le ton. Elle devra soit entretenir et consolider cet espoir, soit le doucher, surtout que le chantier voulu par le président est pratiquement titanesque: réédifier un État.

Cela implique tout. Vraiment tout. Notamment en finir avec la mauvaise gouvernance, ce mal endémique libanais, le premier pointé du doigt par le président pour qui “l’heure de la vérité a sonné”.

Dans cet ordre d’idées et en suivant l’enchaînement d’éléments pour lequel Joseph Aoun a opté dans son discours d’investiture, on suppose que le gouvernement donnera la priorité, une fois la confiance du Parlement obtenue, aux nominations judiciaires, administratives et diplomatiques. La raison en est simple: l’équipe ministérielle de Nawaf Salam a la vie courte puisqu’elle devra rendre le tablier une fois un nouveau Parlement élu, au cours de la première moitié de 2026. Son rôle consistera donc principalement à jeter les bases – solides – des différents grands chantiers du mandat.

Mot-clé: confiance

Cette entreprise ne pourra être menée que si elle est soutenue, en amont, par des équipes de travail de nature à inspirer confiance aussi bien aux Libanais qu’à la communauté internationale qui s’apprête, sous l’impulsion de la France, à soutenir le processus de “retour à la vie” d’un Liban à l’agonie.

On s’attend du nouveau pouvoir en place à ce qu’il comble en premier les vacances aux différents niveaux de la magistrature, suivant les règles qui vont dans le sens de l’engagement du chef de l’État à œuvrer pour une indépendance de celle-ci. Cette mesure donnera un signal fort à la communauté internationale sur la détermination du Liban à rompre avec les pratiques passées, lorsque les nominations judiciaires répondaient principalement au critère du clientélisme. Ce fléau qui empêche une véritable lutte contre la corruption et qui a été longtemps responsable d’une justice sélective ou d’un blocage de dossiers, comme celui de l’explosion du 4 août 2020, au port de Beyrouth.

Dans ce contexte, il serait intéressant de rappeler que les dernières nominations judiciaires remontent à 2019. Un an plus tard, l’ancien président, Michel Aoun, avait bloqué un train de permutations proposé par le Conseil supérieur de la magistrature, sous la présidence du juge Souheil Abboud, parce que le courant qu’il avait fondé, le Courant patriotique libre (CPL), avait estimé qu’elles lésaient les magistrats qui lui étaient proches. Il avait refusé de signer le décret et demandé au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de retravailler le document. Le dossier est, depuis, en suspens.

Tout aussi importantes sont les nominations administratives suivant le principe de la personne adéquate au poste adéquat et non plus en fonction du seul critère du partage du gâteau, sur la même base clientéliste qui a prévalu pendant de nombreuses années. Il s’agit là d’un autre signal fort donné à la communauté internationale, surtout si, dans la foulée, le gouvernement parvient rapidement à “libérer” l’autorité de régulation du secteur de l’électricité, dont la mise en place, prévue depuis…2002, est l’une des principales réformes exigées du Liban. Cet organe indépendant devrait gérer le secteur de l’énergie, une véritable caverne d’Ali Baba, responsable à lui seul de plus de 40% de la dette publique, et devenu, par les bons soins des ministres successifs, synonyme de la corruption et de la mauvaise gouvernance qui rongent le Liban et qui ont conduit à l’effondrement économique et financier de 2020.

Parallèlement, les organes de contrôle, garants du bon fonctionnement de l’administration, devraient être amenés à assumer pleinement leur rôle, sans interférences politiques, comme promis par le chef de l’État.

Les armes: pas de demi-solution

Le règlement de la crise socio-économique qui perdure depuis, est de toute évidence, un des gros dossiers auxquels le gouvernement devra s’atteler, une fois la structure de base du chantier de réformes établie. Parce que sans ces réformes, il serait utopique de croire que le Liban pourrait bénéficier d’une assistance quelconque pour le sortir de “l’enfer” dans lequel il a été plongé à cause des pratiques passées.

Mais la recomposition de la justice et de l’administration reste insuffisante si elle ne s’accompagne pas du troisième panneau du triptyque des réformes de base: ce que le président a appelé “le droit de l’État au monopole des armes”, dans son discours d’investiture. Faut-il le rappeler? Le Liban paie jusqu’aujourd’hui le prix, très lourd, de la démonstration de force hezbollahie du 7 mai 2008 qui avait donné lieu à l’accord de Doha (21 mai 2008) et à cette aberration de minorité de blocage qui a accentué l’emprise de la formation pro-iranienne sur l’État. Faut-il rappeler aussi les incidents du 15 octobre 2021 à Tayyouneh-Aïn el-Remmaneh, cet autre coup de force mené sous prétexte d’une mobilisation du tandem Amal-Hezbollah contre le juge Tarek Bitar en charge de l’enquête sur l’explosion du port?

Si l’on cite ces deux exemples, c’est pour relever qu’il ne suffit pas que l’arsenal du Hezb soit déplacé du sud du Litani, conformément à l’accord de cessez-le-feu avec Israël. Un désarmement au nord du Litani s’impose tout autant.

Car, si des demi-solutions sont envisagées, il y aura toujours cette crainte que les armes resteraient, pour le tandem, un instrument d’intimidation qui leur permettrait d’obtenir par la force, ce qu’ils n’arrivent pas à arracher par la voie de manœuvres politiciennes. Le Liban ne pourra pas non plus s’engager sur la voie d’un véritable redressement.

Le mandat qui paraît déterminé à démarrer sur les chapeaux de roues ne peut se permettre des atermoiements dans le règlement de ce dossier. Celui-ci risque de saper ses efforts, en laissant l’État et les Libanais à la merci d’armes illégales, même si on sait bien que le Hezb n’a plus la latitude, comme dans le passé, de renouveler son arsenal.

Un autre dossier à régler d’urgence: le dossier syrien. Ce boulet que le Liban a traîné pendant des années est d’ailleurs bien fourni: des accords préjudiciables au Liban, passés avec l’ancien régime des Assad, au contrôle des frontières, à celui des centaines de milliers de migrants syriens, le mandat aura du pain sur la planche. Surtout que les donateurs semblent toujours peu enclins à aider le Liban à régler le dossier des migrants, rejoints aujourd’hui par un nombre indéterminé de “nouveaux réfugiés”: les hommes de Bachar el-Assad qui ont fui la nouvelle administration syrienne.

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