Pourquoi Donald Trump veut-il acheter le Groenland?
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Lors d'une conférence de presse tenue le mardi 7 janvier depuis sa résidence en Floride, le président élu des États-Unis, Donald Trump, a réaffirmé son ambition d'annexer le Groenland, territoire autonome du Danemark, ainsi que le canal de Panama. Il n'a pas exclu le recours à la force pour atteindre ces objectifs, affirmant que ces deux zones sont “très importantes pour la sécurité nationale et économique des États-Unis”. Cette déclaration provocatrice a suscité des réactions fermes de la part des gouvernements concernés.

Le président américain a déclaré que le Groenland représentait une “nécessité absolue” pour la liberté et la sécurité mondiale, évoquant des activités navales russes et chinoises dans la région. Il a même menacé le Danemark de droits de douane “très élevés” si ce dernier refusait de renoncer au contrôle du territoire par les États-Unis. En parallèle, son fils Donald Trump Jr. s'est rendu sur l'île pour une visite qualifiée de “privée” par les autorités groenlandaises.

Ces ambitions expansionnistes ont provoqué une levée de boucliers. “Nous ne voulons pas être des Danois. Nous ne voulons pas être des Américains. Nous voulons être des Groenlandais”, a déclaré Múte Egede, le Premier ministre de l’île, favorable à l’indépendance, lors d’une conférence de presse à Copenhague, vendredi, réaffirmant que le Groenland n’était pas à vendre. “Le Groenland est aux Groenlandais”, a rétorqué la Première ministre danoise, Mette Frederiksen. Jean-Noël Barrot, chef de la diplomatie française, a quant à lui affirmé que l'Union européenne ne permettrait pas que des nations “s'en prennent à ses frontières souveraines”.

Un territoire autonome aux défis d’indépendance

Le Groenland, bien que géographiquement plus proche de l'Amérique du Nord que de l'Europe, est un territoire autonome du Danemark depuis 1979. Cette autonomie permet au Groenland, qui dispose de son propre gouvernement, de gérer ses propres affaires internes, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation et des ressources naturelles, tout en laissant à Copenhague la responsabilité de la politique étrangère, de la défense et de la politique monétaire. Cela reflète un équilibre délicat entre l'indépendance croissante du territoire et sa dépendance financière à l'égard du Danemark.

L'île, qui compte 57.000 habitants, est connue pour sa faible densité de population et ses paysages arctiques spectaculaires. Historiquement, le Groenland a été colonisé par le Danemark au XVIIIe siècle, avant de devenir un territoire officiel du royaume en 1953. En 2009, une autonomie élargie a été accordée au Groenland, lui permettant de gérer ses affaires internes, avec la possibilité de déclarer son indépendance via référendum.

Cependant, cette indépendance reste un objectif lointain, étant donné la dépendance économique de l'île à l'égard des subventions danoises, qui représentent environ un cinquième de son PIB annuel. Chaque année, le Danemark verse près de 600 millions d’euros au Groenland pour soutenir son économie et ses services publics, tels les soins de santé et l’éducation.

En effet, d’après un sondage réalisé par HS Analyse pour le média groenlandais Sermitsiaq en 2019, près des deux tiers des Groenlandais se disent favorables à l’indépendance. Toutefois, les avis divergent sur le moment opportun pour l’obtenir et sur les conséquences possibles pour leur qualité de vie.

Un territoire stratégique sous haute convoitise

Sur le plan économique, l'île repose principalement sur la pêche, qui représente plus de 95% de ses exportations.

Or, les vastes ressources naturelles du Groenland, notamment certains minerais rares, attirent l'attention internationale, bien que l'extraction pétrolière et gazière y soit actuellement interdite pour des raisons environnementales.

Le Groenland est également une pièce maîtresse dans la stratégie militaire de l'OTAN et des États-Unis. La base américaine de Pituffik (anciennement Thulé), située au nord-ouest de l'île, joue un rôle crucial dans le système d'alerte avancée pour les missiles balistiques et la surveillance des activités maritimes dans l'Arctique. Elle est également un point stratégique clé pour les États-Unis et l'OTAN dans le contexte des tensions croissantes avec la Russie et la Chine.

En effet, la base permet de surveiller les mouvements de sous-marins nucléaires russes dans l'Atlantique Nord et de suivre les activités maritimes chinoises dans l'Arctique, une région où Pékin cherche à renforcer son influence dans le cadre de sa stratégie dite de la “route polaire de la soie”. Ce positionnement stratégique confère à Pituffik un rôle central dans la sécurité et la stabilité géopolitique de l'Arctique.

Les eaux entourant le Groenland, notamment le passage entre l'île, l'Islande et le Royaume-Uni, sont stratégiques pour contrôler les mouvements des sous-marins russes et des navires chinois. La région est aussi essentielle pour sécuriser les routes maritimes émergentes dues à la fonte des glaces.

Une ambition ancienne et controversée

En 2019, Donald Trump avait déjà proposé d'acheter l'île, offre rejetée par le Danemark et qualifiée d'”absurde” par la Première ministre danoise, Mette Frederiksen. Or ce n’est pas la première fois que les États-Unis font part de leur désir d’annexer le Groenland. Que ce soit en 1867, 1910 ou 1946, le Danemark a rejeté des tentatives américaines similaires.

Cependant, les intérêts stratégiques et économiques de l'Arctique restent au cœur de l'agenda américain, particulièrement à mesure que le réchauffement climatique transforme la région. La fonte des glaces ouvre de nouvelles routes maritimes, comme le passage du Nord-Ouest, et offre un accès inédit à des ressources naturelles jusque-là inaccessibles. En effet, en faisant part de son intention d’acheter l’île de glace en août 2019, Donald Trump avait déclaré que la déglaciation de l’île (causée par le réchauffement climatique) libérerait des ressources naturelles en abondance.

Ces évolutions renforcent l'importance géopolitique du Groenland et suscitent l'intérêt des grandes puissances, y compris les États-Unis, la Russie et la Chine. “Le Groenland a besoin de sûreté, de sécurité, de force et de paix. C'est un accord qui doit être conclu”, a écrit Donald Trump sur la plate-forme Truth Social.

L'insistance de Trump sur le Groenland reflète donc une stratégie plus large d'influence américaine dans des régions estimées stratégiques. Cependant, cette posture expansionniste risque de renforcer les tensions avec ses alliés traditionnels, notamment le Danemark et l'Union européenne.

Pour les Groenlandais, ces discussions ravivent les tensions sur leur statut futur. Le Groenland se prépare à une élection parlementaire, en avril 2025 qui revêt une importance particulière du fait que la question de l’indépendance sera au cœur des débats.

Bien qu'une majorité de Groenlandais aspire à l'indépendance, cette dernière semble difficilement envisageable sans soutien financier extérieur. Si le Groenland devenait indépendant, il pourrait éventuellement se rapprocher des États-Unis via un accord d'association, comme ceux en vigueur avec certaines îles du Pacifique.

Pour l’heure, le Groenland demeure fermement ancré dans la sphère danoise, mais les ambitions du président américain rappellent que cette immense île constitue, depuis plus d’un siècle, un enjeu géopolitique majeur.

 

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