Jamais peut-être dans l’histoire de la présidentielle libanaise, le suspense n’aura été autant maintenu jusqu’au bout. La dernière fois remonte à 1970, lorsque Sleiman Kabalan Frangié a été élu président par 50 voix parlementaires, contre 49 pour son rival, Elias Sarkis. Soit à la majorité absolue (la moitié plus un) des 99 députés que comptait la Chambre à l’époque.
Les 128 parlementaires qui vont se retrouver jeudi dans l’hémicycle, doivent rééditer le même exercice démocratique, mais, cette fois, sous l’œil très attentif de la communauté internationale.
À la différence de 1970, cependant, les Libanais ont une idée assez claire, à la veille de la séance électorale, de celui devant qui les portes du palais de Baabda vont enfin s’ouvrir. Grand favori, le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, est en tête de lice dans la course à la présidentielle, comme en témoignent les événements accélérés de la journée de mercredi, notamment les résultats, officiels et officieux, de la série d’entretiens et de réunions préparatoires du scrutin de jeudi, et, surtout le retrait de la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, soutenu par le tandem Amal-Hezbollah.
L’élection du général Aoun, qui bénéficie d’un soutien local et international appuyé, est pratiquement acquise, à moins d’une surprise de dernière minute. Elle est l’une des conséquences directes du changement des rapports de force dans la région, après la guerre entre le Hezbollah et Israël et la chute du régime Assad en Syrie. L’affaiblissement de l’axe syro-iranien favorise, pour la première fois depuis Taëf, la présence à la tête de l’État libanais, d’une figure libano-libanaise, c’est-à-dire qui n’est pas le fruit d’un consensus politique imposé par cet axe, à coups de blocages, de chantages ou de menaces. “C’est le moment ou jamais pour élire un chef de l’État”, selon des sources qui suivent de près le dossier de la présidentielle.
Une diplomatie très active
La communauté internationale a joué un rôle essentiel à ce niveau, en remettant en marche sa machine diplomatique politique, en force, pour garantir que le Liban soit doté d’un président de la République à la hauteur des nombreux défis auxquels le pays est confronté. Dans ce contexte, il est important de relever les propos tenus par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, qui a fait état d’efforts soutenus franco-américains, pour rétablir la stabilité au Liban.
L’envoyé spécial du président français, Emmanuel Macron, pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, arrivé mardi soir à Beyrouth, et l’émissaire saoudien, Yazid ben Farhane, qui l’a suivi mercredi matin à Beyrouth, ont multiplié les réunions tout le long de la journée, avec les différentes forces politiques et figures parlementaires, pour des discussions, émaillées de messages directs sur l’importance pour le Liban, et, surtout, pour les groupes qui pratiquaient le blocage, de ne pas rater l’échéance de jeudi.
Pour simplifier, avec l’élection d’un président, le pays devrait, fort du soutien des pays qui l’ont accompagné depuis le début de ses crises, renouer avec le processus censé le remettre sur une pente ascendante. Pour les obstructionnistes, la réouverture des portes de Baabda leur éviterait des sanctions internationales, sérieusement envisagées en cas d’un nouveau blocage.
Les multiples signaux envoyés mercredi à la faveur des réunions qui se sont enchaînées dans la journée, suggèrent que le Liban sera doté d’un chef de l’État, avec le coup de maillet que donnera le président de la Chambre, Nabih Berry, pour annoncer la clôture de la séance électorale. Celle-ci ne devrait normalement pas se prolonger, même si M. Berry laisse entendre qu’elle pourrait s’étendre au-delà d’une journée.
Car, soit dit en passant, le chef du Législatif s’est de nouveau engagé à convoquer des tours successifs jusqu’à l’élection d’un chef de l’État. Dans un entretien accordé au quotidien An-Nahar, et publié mercredi, il a assuré qu’il n’y aura de pause, lors de la séance électorale, “que pour la prière du vendredi et la messe du dimanche֨”. Il voulait ainsi montrer à quel point il est déterminé à aller jusqu’au bout de l’échéance présidentielle.
Un autre signe indicateur d’un dénouement positif de la treizième séance électorale depuis la fin du mandat de l’ancien président Michel Aoun, le 31 octobre 2022: la présence de Jean-Yves le Drian parmi les ambassadeurs et les personnalités conviés par M. Berry pour assister à la réunion.
L’émissaire français ne comptait accepter l’invitation que s’il était assuré de l’élection d’un président.
Changement de ton
Des propos attribués au chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, et d’autres tenus par le député Ayoub Hmayed, au nom du bloc parlementaire de Nabih Berry, montrent également que le tandem a jeté du lest dans son approche du dossier de la présidentielle, même s’il n’a pas révélé ses intentions de vote.
Selon la chaîne Al-Jadeed, Mohammed Raad aurait fait savoir à Jean-Yves Le-Drian, durant leur entretien à la Résidence des Pins, que le Hezbollah ne se posera pas en obstacle devant un consensus libanais autour d’un candidat.
Quant au député Ayoub Hmayed, il a fait état d’une convergence de vues avec le Hezb, une fois la réunion du bloc Berry terminée, affirmant que “chaque situation a ses impératifs” et mettant en avant l’importance d’un “consensus” autour de la présidentielle.
Ce discours, en rupture totale avec la rhétorique habituelle du tandem au sujet de cette échéance, signifie concrètement que les députés d’Amal et du Hezb, ou une partie d’entre eux, devraient soit emboîter le pas à la majorité parlementaire qui se constitue autour de l’élection de Joseph Aoun, soit voter blanc.
L’annonce officielle, en fin d’après-midi, par Sleiman Frangié, du retrait de sa candidature, en faveur de celle du général Aoun, suivie en soirée par celle de l’ancien ministre, Ziyad Baroud, soutenu par quelques indépendants, et du député Neemat Frem, est venue confirmer cette tendance, alors que les blocs de l’Entente nationale (proche du Hezbollah), du Renouveau, de la Modération nationale, de la Coalition de changement, des Députés indépendants et Nouveau Liban, faisaient savoir qu’ils allaient voter pour Joseph Aoun.
Ce dernier est assuré d’au moins 80 voix, selon le député Nadim Gemayel (Kataëb), notamment celles de l’opposition qui a tenu en soirée une réunion élargie à Meerab, pour entériner l’élection de Joseph Aoun. Celle-ci s’est tenue au terme d’un entretien du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, avec M. Le Drian, qui a par la suite eu un entretien de près d’une heure avec le chef du CPL, Gebran Bassil, hostile à la candidature du chef des forces régulières.
Le signal attendu
De sources qui suivent de près le dossier de la présidentielle, on insiste sur le fait que l’échéance de jeudi est importante essentiellement pour le duopole chiite “qui doit donner le signal qu’il ne veut plus pratiquer le blocage”.
Selon ces sources, le comportement de tous les blocs parlementaires va être minutieusement “scruté” au Parlement.
Les ambassadeurs du Quintette (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte et Qatar) seront tous présents, aux côtés d’autres diplomates, pour s’assurer, à partir de la tribune réservée aux invités et aux journalistes, que “le jeu démocratique est bien respecté”, ajoute-t-on.
Un nouveau blocage, qu’il s’agisse d’un défaut de quorum ou autre, entraînera des sanctions, selon les sources et un Liban qui restera sans président alors que la région est en pleine mutation “ne verra pas un sou”.
Commentaires