La France a commémoré mardi dans la gravité et l'émotion l'attaque jihadiste meurtrière menée il y a dix ans contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, qui défend toujours haut et fort la liberté d'expression.
Journal joyeusement anarchiste et anticlérical, Charlie Hebdo était la cible de menaces jihadistes depuis la publication de caricatures du prophète Mahomet en 2006.
À l'heure même de l'attaque à 11H30 (10H30 GMT), rue Nicolas-Appert, où Charlie Hebdo avait ses locaux en 2015, les familles des victimes et de nombreuses personnalités se sont rassemblées. Noms des victimes prononcés, dépôt de gerbes, sonnerie aux morts, minute de silence, Marseillaise: la séquence a été sobre, dans un quartier bouclé par les forces de l'ordre.
Mains croisées, le directeur de Charlie Hebdo, Riss, grièvement blessé le 7 janvier 2015, a longuement regardé la façade, songeur, a constaté un journaliste de l'AFP.
Le président Emmanuel Macron, l'ancien chef de l'État François Hollande en poste à l'époque, la maire de la capitale Anne Hidalgo, le Premier ministre François Bayrou et plusieurs membres ou anciens membres du gouvernement étaient présents.
"La tristesse est la même, l'émotion aussi", a déclaré sur la chaîne France 2 François Molins, procureur de Paris à l'époque. "L'esprit Charlie" ne "m'a jamais quittée", a assuré Anne Hidalgo.
Le chef de l'État a échangé quelques minutes avec les familles, à l'écart de la presse.
"Solidarité totale"
Ces cérémonies ouvrent une lourde séquence mémorielle, dix ans après une série d'attentats jihadistes qui a touché la France en 2015 avec notamment les attaques du 13 novembre contre la salle de spectacles du Bataclan, des terrasses parisiennes et le Stade de France.
Du 7 au 9 janvier 2015, les frères Chérif et Saïd Kouachi et Amedy Coulibaly avaient ciblé Charlie Hebdo, les forces de l'ordre et la communauté juive. Ces attaques "coordonnées", revendiquées par deux entités distinctes, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) et l'organisation État islamique (EI), avaient fait au total 17 morts.
Douze personnes, dont huit membres de la rédaction de Charlie Hebdo, avaient perdu la vie lors de l'attaque des frères Kouachi. Après deux jours de traque, ces deux Français d'origine algérienne, qui avaient prêté allégeance à Al-Qaïda, avaient été abattus par le groupe d'élite de la gendarmerie, dans une imprimerie où ils s'étaient retranchés.
D'autres attentats islamistes près de Paris avaient coûté la vie à une policière le lendemain à Montrouge, puis à quatre personnes de confession juive dans un magasin casher porte de Vincennes le 9 janvier.
Les cérémonies de mardi se sont poursuivies boulevard Richard Lenoir, où le policier Ahmed Merabet a été abattu par les Kouachi dans leur fuite. Puis, devant le magasin Hyper Cacher, où le même rituel avec dépôt de gerbes et minute de silence a été répété.
À proximité du magasin, des étoiles de David et l'inscription "juif" ont été trouvées dimanche et lundi sur des bâtiments à Saint-Mandé et Vincennes. La synagogue de Rouen, dans le nord-ouest de la France, a elle été la cible de tags antisémites entre fin décembre et début janvier.
"La séquence ne s'est jamais refermée" et "la bataille contre cet islamisme antisémite continue", a réagi le président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), Yonathan Arfi.
Le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, a dit mardi sa "solidarité totale" avec les victimes des attentats de janvier 2015 qui "ne peuvent en aucun cas être justifiés par l'islam", en soulignant son "attachement indéfectible à la liberté d’expression".
Mémorial du terrorisme
M. Macron a appelé lundi à poursuivre sans "répit" la lutte contre le terrorisme.
Mardi, une source proche du dossier a indiqué qu'il voulait maintenir le projet de Mémorial du terrorisme, lieu d'hommage à toutes les victimes du terrorisme en France et à l'étranger, menacé d'abandon.
L'Allemagne partage "la douleur de nos amis français", a souligné le chancelier Olaf Scholz sur X, ajoutant: "L'attaque barbare visait nos valeurs communes de liberté et de démocratie – nous ne l'accepterons jamais".
L'attentat avait provoqué une émotion mondiale et donné naissance à un slogan de soutien resté célèbre: "Je suis Charlie".
Le 11 janvier 2015, des manifestations avaient réuni près de 4 millions de personnes à travers la France, avec de nombreux chefs d'État et de gouvernement dans le cortège parisien.
Charlie Hebdo "incarne un combat pour la liberté", a souligné mardi Fabrice Nicolino, membre de la rédaction survivant du 7 janvier 2015, sur la radio franceinfo. Et de décrire une rédaction aujourd'hui protégée par "une grosse porte métallique", une série de "sas", une "pièce qui grouille de flics" ou encore une "panic room" en cas d'attaque.
Pour ce triste anniversaire, Charlie Hebdo sort un numéro spécial de 32 pages, où en Une, il se dit "increvable!".
À côté de Charlie Hebdo en kiosque, plusieurs quotidiens français consacrent leur Une au dixième anniversaire de l'attaque: "Liberté, Liberté Charlie !" titre Libération, alors que Le Figaro s'inquiète de voir la France "toujours sous la menace islamiste".
Par Anne Pascale REBOUL, AFP
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