Attaque chimique en Syrie: trois soignants disent avoir été forcés à faire un un faux témoignage
Cette photographie montre des masques à oxygène dans un ancien hôpital de fortune à Douma, à l'est de la capitale syrienne Damas, le 21 décembre 2024. ©Sameer Al-DOUMY / AFP

Après une attaque au chlore meurtrière sur la ville syrienne de Douma en 2018, deux médecins et un infirmier s'étaient occupés des victimes. Dans des entretiens à l'AFP durant le week-end, ils racontent les pressions du pouvoir les contraignant à un faux témoignage niant tout recours à des armes chimiques.

Le 7 avril 2018, Douma, dernier bastion rebelle de la Ghouta orientale aux portes de Danas, subit d'intenses bombardements.

Un bâtiment près d'un hôpital de campagne est touché. Très rapidement, militants et secouristes dénoncent une attaque chimique à la chlorine qui fait 43 morts --une version des faits démentie par le pouvoir de Bachar al-Assad et son allié russe.

Parmi les images du drame circulant sur les réseaux sociaux, une courte vidéo tournée dans ce même hôpital de campagne montrent les équipes médicales soignant les blessés, certains allongés à même le sol, en train de se faire asperger d'eau dans un chaos généralisé.

Les services de sécurité de Damas vont convoquer tout le personnel qui apparaît dans cette vidéo, dont deux médecins et un ambulancier qui ont accordé un entretien exclusif à l'AFP.

Ces témoignages, inédits, n'auraient pas été possibles il y a encore un mois, avant la chute de Bachar al-Assad le 8 décembre.

Les trois hommes ont confirmé avoir été convoqués au siège de la Sûreté nationale après l'attaque meurtrière.

Par la suite, "pressions" et intimidations du régime vont les contraindre à fournir un faux témoignage aux enquêteurs internationaux dépêchés par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).

Ces faux témoignages, filmés, seront également diffusés à la télévision étatique syrienne.

"Je ne sais pas"

Le chirurgien orthopédique Mohammad Al-Hanach ne pouvait pas ignorer la convocation. "Ils m'ont dit qu'ils savaient où trouver ma famille" à Damas, a-t-il expliqué à l'AFP.

Prudent, il tente d'abord de fournir des "réponses générales" à l'officier qui mène son interrogatoire.

"Il m'a demandé par exemple ce qui s'était passé ce jour-là, où j'étais, ce que j'avais vu et ce qu'il en était des gens qui avaient eu des suffocations", se souvient le chirurgien.

"Pistolet pointé vers moi"

"J'ai dit que j'étais à la chirurgie (...) et que les patients (traités) pour des (attaques) chimiques ne venaient pas dans mon département", raconte-t-il encore.

Le médecin urgentiste Hassan Ouyoun a également dû répondre à des questions similaires.

"Quand je suis arrivé devant l'enquêteur, un pistolet était posé sur la table, pointé vers moi", raconte-t-il à l'AFP.

Il dit avoir "immédiatement compris ce qui était attendu de lui". "Tous ceux qui étaient à l'hôpital ont subi de fortes pressions, parfois même des menaces à peine voilées", ajoute-t-il.

Lui aussi reconnaît avoir "nié l'évènement" --en allusion à l'attaque-- et d'avoir tenté d'éviter certaines questions.

Il se remémore encore son interrogatoire: "+Où ont été transportés les morts?+ Je ne sais pas +Comment expliquer les cas de suffocations?+ Par la poussière et la fumée provoquées" par les bombardements et les "opérations militaires", dit-il.

Mouwafaq Nisrine, qui était ambulancier et infirmier à l'époque, a également été interrogé, après avoir été vu dans une vidéo où il apparaissait tapotant sur le dos d'une fillette aspergée d'eau et déshabillée, qui crachait des muqueuses après avoir inhalé un gaz toxique.

"Ils nous ont dit qu'il n'y avait pas eu d'attaque chimique (...) qu'ils voulaient mettre fin à ces affirmations (...) afin que Douma puisse tourner la page des arrestations", se souvient-t-il.

"J'étais sous pression car ma famille habite à Douma, comme la plupart des familles du personnel médical", dit-il.

Dans un rapport, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) avait accusé en janvier 2023 Damas d'avoir mené l'attaque au chlore qui a fait 43 morts.

Selon ses enquêteurs, "il existe des motifs raisonnables de croire" qu'au moins un hélicoptère de l'armée de l'air syrienne a largué deux barils de gaz toxique sur la ville de Douma.

 

Avec AFP

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