Les “moukawiîn” syriens, personnalités culturelles ayant basculé du soutien ultime au régime à l'adhésion à la révolution après la chute de Bachar el-Assad le 8 décembre, incarnent un opportunisme politique marqué par des revirements spectaculaires.
Le terme “moukawiîn” (ou “ceux qui ont pris un virage”, traduction littérale) et “girouette” au sens figuré, a envahi le paysage sociomédiatique syrien depuis la chute du régime de Bachar el-Assad le 8 décembre dernier. Tandis que l’ancien président fuyait en Russie et que les rebelles prenaient Damas, une nouvelle étiquette émergeait pour décrire ceux qui changent de camp avec une facilité déconcertante. Mais pourquoi ce terme est-il devenu si populaire aujourd’hui et qu’implique-t-il pour les figures culturelles du pays?
En Syrie, ce terme qualifie ceux qui adoptent soudainement des positions contraires à leurs convictions passées, dictées par des opportunités ou des intérêts personnels. Ce phénomène s’observe également chez des célébrités autrefois fidèles au régime Assad. En l’espace de quelques jours, elles se sont réinventées comme ferventes partisanes de la révolution syrienne, affichant un zèle qui rivalise avec celui des rebelles eux-mêmes.
L’opportunisme comme manœuvre
Parmi les “moukawiîn” notoires, certains ont effectué des virages spectaculaires dans leurs discours. Le chanteur Hossam Jneed, par exemple, est passé de la glorification de Bachar el-Assad dans ses chansons, à une vidéo dans laquelle il loue Abou Mohammad al-Jolani, chef du groupe Hay’at Tahrir al-Cham (HTC). Ce retournement rapide illustre l’adaptabilité de ces personnalités qui modifient leur message pour rester en phase avec l’évolution politique.
Mayada el-Hennawy, jadis ambassadrice du régime en chantant pour Hafez et Bachar el-Assad, a, elle aussi, opéré une métamorphose, exprimant lors d’un concert à l’étranger son “choc” face à la réalité du régime. “Comme tout le monde, je suis dans une situation délicate,” a-t-elle déclaré, avouant n’avoir “pas vu les horreurs du régime” pendant toutes ces années.
Dans un autre registre, l’acteur Bachar Ismail a surpris le public en qualifiant Bachar el-Assad de “traître”, tant envers ses alliés qu’envers son propre père, lors d’une intervention télévisée. Ce fervent partisan du régime n’a pas hésité à retourner sa veste en direct, prouvant une fois de plus que l’opportunisme n’a pas de frontières.
Le comédien Ahmed Rafea, qui se targuait de ses liens personnels avec la famille Assad, ne s’est pas gêné pour publier une vidéo dans laquelle il remercie Al-Jolani pour “une révolution sans effusion de sang”.
Enfin, l’acteur Mazen al-Sayed, qui versait autrefois des larmes sur un plateau télévisé pour défendre Bachar el-Assad et sa “bonté inouïe”, n’a pas hésité à exprimer sur Twitter son rejet total de l’ancien régime: “Félicitations à la Syrie libre!”, s’est-il écrié avant de s'exclamer: “Et moi qui pensais que tu étais quelqu’un de bien” (en parlant du dictateur évincé).
Éthique vacillante
Ces figures culturelles, autrefois loyales envers un régime ou une idée, se transforment en défenseurs zélés de la cause opposée. Leur discours virevoltant reflète un opportunisme qui décrédibilise leur parole et soulève des doutes sur leur sincérité, écrit un internaute. “Ces hypocrites sont condamnés à échouer dans une époque où chaque prise de position est minutieusement enregistrée”, poursuit-il.
“Le peuple syrien, qui a enduré des années de répression, n’est pas dupe de ces manœuvres”, affirme un activiste. “Sa mémoire collective se souvient des positions passées et juge sévèrement ceux qui changent de veste avec l’aisance d’une girouette au vent”, ajoute-t-il. Avant de s’indigner d’“un constat amer, mais révélateur d’une réalité que rien ne peut détourner”.
Ce comportement ne se limite pas à des individus. Il reflète un mal plus profond où le pragmatisme l’emporte sur les principes. Ces revirements soudains ternissent la crédibilité d’une élite culturelle et questionnent la place des valeurs dans un contexte politique mouvant. Si certains espèrent peut-être regagner une forme de crédibilité, leur éthique vacillante et leurs discours changeants ne trompent plus grand monde.
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