Les décombres d'après-guerre à la mer?
Cette photo montre la destruction du village de Khiam, dans le sud du Liban, le 14 décembre 2024, après qu'Israël s'est retiré de la zone. ©Jalaa Marey/AFP

Ce mardi 17 décembre, la question cruciale de la gestion des décombres d’après-guerre est à l’ordre du jour du Conseil des ministres. Parmi les points clefs de l’ordre du jour: que faire de la masse colossale de gravats, estimée à des millions de tonnes, et quelle sera l’attitude du ministre sortant des Travaux publics, M. Ali Hamiyé, qui reste floue. Malgré une demande de clarification auprès de sa conseillère médiatique, celle-ci a indiqué que le ministre était indisponible pour répondre, laissant planer le doute quant à ses intentions réelles.

Les récents raids israéliens sur le territoire national ont engendré des destructions sans précédent dans plusieurs régions libanaises, dont la banlieue sud de Beyrouth, le Liban-Sud, la Békaa (Baalbeck-Hermel) et Nabatiyé. Les chiffres exacts restent incertains, mais des estimations évoquent 50 à 100 millions de tonnes de débris à gérer. La question du sort de cette masse de matériaux est d’autant plus pressante que, par le passé, le Liban a connu des expériences désastreuses en matière de gestion des décombres. En 2006, les gravats issus de la guerre avec Israël avaient été jetés directement en mer, provoquant des dégâts écologiques majeurs et un impact irréversible sur les écosystèmes côtiers.

Recyclage ou remblayage?

Cette fois-ci, le ministère de l’Environnement a émis très tôt des directives claires pour éviter la répétition de tels scénarios. Il insiste sur la nécessité d’un tri, d’un traitement et d’un recyclage systématiques, avant un enfouissement définitif dans des sites appropriés. L’objectif est multiple: protéger les espaces marins, préserver les sols, limiter la propagation de polluants et, surtout, mettre en place une économie circulaire autour des matériaux récupérés. En effet, le béton, l’acier, la pierre et même le verre issus des gravats peuvent être réutilisés dans la construction de routes, la production de parpaings, voire la fabrication d’objets du quotidien.

Or, malgré ces orientations environnementales et économiques clairement exprimées, la déclaration de M. Hamiyé avant un précédent Conseil des ministres –  “les décombres de la banlieue sud devront être disposés dans un site proche de la décharge [côtière] de Costa Brava”  – fait craindre un remblayage marin similaire à celui de 2006, aux lourdes conséquences écologiques. Si une telle approche était adoptée, elle irait à l’encontre de la position du ministère de l’Environnement et de nombreux experts, ingénieurs, écologistes et associations citoyennes.

Pourtant, ce ne sont pas les solutions qui manquent: des chercheurs de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) sous la supervision du professeur Issam Srour, travaillent déjà sur des plans concrets de recyclage des gravats, transformant ainsi les déchets en ressources précieuses, réduisant le besoin de nouvelles carrières et protégeant l'environnement. Des ingénieurs libanais interrogés par Ici Beyrouth soulignent la faisabilité technique du tri et du recyclage. Les étapes sont claires: séparer manuellement ou mécaniquement les différents matériaux (béton, acier, verre), broyer et reconditionner le béton pour en faire des granulats destinés à la construction, revendre l’acier à des entreprises de recyclage, ou encore réutiliser le verre et d’autres matières valorisables.

L’issue de la réunion du Conseil des ministres est donc très attendue, cela en dépit du caractère vain de cette attente. Si le gouvernement s’oriente vers une approche durable, dictée par le respect des directives du ministère de l’Environnement et des études réalisées par de nombreux experts, locaux et internationaux, le Liban pourrait éviter de répéter les erreurs du passé. Une gestion raisonnée de ces décombres offrirait l’opportunité de créer une filière économique nouvelle, générant des emplois et des ressources, tout en atténuant l’impact écologique de la reconstruction.

Dans le cas contraire, si le choix se portait sur une solution de facilité, comme le remblayage en mer, le pays, non seulement prendrait le risque de compromettre, encore, son littoral et sa biodiversité, mais assurerait aux observateurs internationaux qu’il est bel et bien capable de commettre deux fois la même erreur et que la gouvernance du pays n’a toujours pas évolué, malgré les demandes répétées depuis plusieurs années de réformes structurelles pour sortir le Liban de ses crises multidimensionnelles.

 

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