Le dimanche 8 décembre est un jour historique pour la Syrie et dans une plus large mesure, pour le Moyen-Orient: le régime dictatorial de Bachar el-Assad est tombé!
Après des décennies au pouvoir, marquées par une répression implacable de toute opinion divergente ou mouvement de contestation, et des années de guerre civile dévastatrice, un vent nouveau, libre, souffle sur la Syrie. Les forces rebelles ont pris possession de la capitale, Damas, dès les premières lueurs du jour, dimanche.
L’ancien président, confronté à l’effondrement imminent de son autorité, a pris la fuite durant la nuit vers une destination qui n’est toujours pas connue.
Cet événement, porteur d’un profond bouleversement politique, suscite cependant une interrogation majeure: quel avenir se dessine pour la Syrie post-Assad? La question de la nature et des orientations du régime qui succédera à cette dictature hante à présent les esprits. Pour en saisir les enjeux, il faudrait examiner avec rigueur les forces en présence, qu’il s’agisse des groupes d’opposition ou des factions rebelles, et s’interroger sur leurs ambitions, leurs divergences, et leur capacité à instaurer un ordre nouveau à la hauteur des aspirations du peuple syrien.
Pour saisir la complexité des différentes factions qui composent la rébellion syrienne, il est indispensable de remonter à l’année 2011, au début de la guerre civile.
À cette époque, la Syrie est traversée par les vagues du printemps arabe, avec des manifestations organisées à travers le pays pour réclamer davantage de libertés et de justice sociale.
Le régime de Bachar el-Assad, loin de répondre aux aspirations populaires, réprime ces mouvements avec une violence extrême. La brutalité de la répression pousse des soldats de l’armée syrienne à la mutinerie. Ces derniers forment l’Armée Syrienne Libre (ASL), point de départ d’un conflit armé.
La rébellion syrienne, au-delà de l'ASL, se compose d'une multitude de groupes aux objectifs souvent divergents. Parmi ceux-ci, des factions djihadistes, issues d'al-Qaïda, visent l'instauration d'un califat islamique, non seulement en Syrie, mais aussi au-delà de ses frontières. Celles-ci donnent naissance au groupe État islamique (EI ou Daech), qui établit un califat en 2014 en Syrie et en Irak, avant sa chute en 2019.
En parallèle, une autre organisation islamiste, le Front al-Nosra, rivale de l’EI et également issue d’al-Qaïda, se constitue en 2012. Ce groupe joue un rôle essentiel dans la rébellion syrienne entre 2013 et 2015, notamment avec des attaques violentes et des attentats-suicides. En 2015, le Front al-Nosra prend la ville d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie, avec l'aide d'autres groupes rebelles. Désireux de recentrer ses efforts sur la chute du régime d'Assad, le groupe rompt en 2016 avec al-Qaïda et devient Fatah al-Cham, puis fusionne avec plusieurs autres factions pour former, en 2017, Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), dirigé par Abou Mohammad al-Joulani.
Malgré sa désignation comme organisation terroriste par les États-Unis, HTC se forge rapidement comme la principale force dans le nord-ouest de la Syrie, autour d'Idlib. C'est ce groupe qui, sous la direction d’al-Joulani, joue un rôle clé dans l'offensive éclair de fin novembre 2024, qui conduira à la prise de Damas le 8 décembre, marquant la fin du régime de Bachar el-Assad. Dans les territoires qu’il contrôle, HTC a instauré une gouvernance moins rigoriste que celle dans les zones qui étaient dominées par l’EI.
Abou Mohammad al-Joulani, 40 ans, a depuis longtemps abandonné le turban pour des tenues plus neutres, apparaissant parfois à la télévision américaine en uniforme civil ou militaire non religieux. Il adopte également, depuis peu, une rhétorique moins radicale, cherchant à présenter une image modérée auprès de la communauté internationale. Cette évolution s’est particulièrement manifestée lors de sa récente interview sur la chaîne américaine CNN.
Cette stratégie vise à sortir HTC des listes des organisations terroristes en Occident, condition jugée essentielle par al-Joulani pour prétendre au pouvoir en Syrie. Officiellement, les responsables américains demeurent prudents à l'égard de HTC. Toutefois, selon le New York Times, “au sein du gouvernement américain, certains estiment que le tournant pragmatique opéré par le groupe est sincère et que ses dirigeants ont conscience qu’ils ne peuvent pas espérer intégrer ou diriger le gouvernement syrien si leur organisation est perçue comme djihadiste”. Bien que HTC soit à la tête de la coalition rebelle syrienne, d'autres groupes de l’opposition, notamment des factions loyales à la Turquie, continuent également d’exister et d’opérer dans le pays.
L’ANS, une coalition de groupes rebelles
L'Armée nationale syrienne (ANS) a également joué un rôle significatif dans l'offensive éclair de fin novembre 2024, qui a abouti à la chute du régime de Bachar el-Assad. L’ANS est une coalition de groupes rebelles syriens formée en 2017, soutenue par Ankara dans le cadre de ses efforts pour contrer l'influence kurde et affaiblir le régime de Damas.
Composée de divers groupes islamistes et nationalistes syriens, l'ANS se distingue par son rôle dans le soutien des intérêts turcs, notamment contre les forces kurdes du YPG (les Unités de protection du peuple), qu'Ankara considère comme liés au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Bien que sa priorité soit de combattre le régime d'Assad, l'ANS est également impliquée dans les zones de conflit au nord de la Syrie, où elle a joué un rôle clé dans les offensives menées par la Turquie pour sécuriser la frontière et repousser les forces kurdes.
Bien qu'ils n'aient pas directement participé à l'offensive qui a renversé Assad, les Kurdes, soutenus par les États-Unis, demeurent un acteur central du conflit syrien.
Les Forces démocratiques syriennes
Les Forces démocratiques syriennes (FDS), composées principalement de combattants kurdes, ont joué un rôle crucial dans la lutte contre l’EI, notamment lors de la bataille de Kobané en 2014.
Après la défaite de l’EI, elles ont consolidé leur contrôle sur le nord-est de la Syrie, établissant une région autonome, le Rojava. Leur influence dans le pays est désormais telle qu'elles devront, directement ou indirectement, composer avec les rebelles syriens, étant donné leur rôle central dans l'équation politique du pays.
En conclusion, même si la chute du régime de Bachar el-Assad marque un tournant décisif pour la Syrie, la route vers une gouvernance stable et inclusive reste semée d’embûches.
Il est vrai que les rebelles syriens, soutenus par des puissances étrangères, ont réussi à le renverser, mais leur coexistence, tout comme l’avenir politique du pays, dépendra d’un équilibre complexe entre factions internes et pressions extérieures. Les aspirations des Kurdes à l'autonomie, la présence et les ambitions des groupes islamistes, ainsi que les influences turques et américaines, façonnent un paysage politique fragmenté.
Toutefois, pour comprendre pleinement ce qui se profile à l’horizon, il est essentiel de considérer le rôle fondamental des puissances régionales et internationales, telles que les États-Unis, la Russie, Israël, la Turquie et l’Iran. Ces acteurs, avec leurs intérêts souvent divergents, exerceront une influence déterminante sur le modèle de gouvernance post-Assad.
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