Durant l’une des premières phases de la guerre libanaise, Bachir Gemayel avait lancé devant des journalistes une boutade qui reflétait de manière quelque peu sarcastique, mais foncièrement lucide, l’un des aspects de la vie publique dans le pays. “Le Liban était (avant la guerre) le pays non pas tant de la coexistence, mais plutôt celui du mensonge réciproque” entre les Libanais, avait-il affirmé, non sans un brin d’ironie teintée d’amertume. Une façon simplifiée de relever que les Libanais sont passés maîtres dans la pratique d’une politique de l’autruche, laquelle s’aggrave davantage lorsqu’elle s’accompagne d’une attitude de déni total et d’une obstination aveugle à ne pas voir certaines réalités en face.
Cette supercherie érigée en ligne de conduite “nationale” est plus que jamais perceptible de nos jours dans la position adoptée par le tandem Hezbollah-Amal, sur instruction évidente de Téhéran, concernant les tractations engagées pour mettre un terme à la guerre suicidaire déclenchée par le Hezbollah le 8 octobre 2023. Dans les faits, l’axe iranien fait preuve d’une incroyable cécité face au désastre monstrueux provoqué par son aventure guerrière, profondément insensée, dans laquelle il a entraîné les Libanais. Il s’emploie, plus spécifiquement, à déformer de manière abjecte le fondement de la sortie de crise actuellement au centre des négociations, en l’occurrence la résolution 1701. Il affiche ainsi de façon éhontée sa propre lecture réductrice du texte onusien, pourtant on ne peut plus clair, en limitant sa teneur à un simple cessez-le-feu accompagné d’un repli au nord du Litani des miliciens pro-iraniens.
L’essentiel de la 1701 est de ce fait totalement occulté, à savoir: la clause appelant tous les pays à s’abstenir d’introduire au Liban des armes et de l’équipement militaire à destination de forces non étatiques; la mise en place d’un mécanisme de contrôle des frontières maritimes et terrestres afin d’empêcher la contrebande d’armes et de munitions; la remise des armes miliciennes à l’autorité légale, en application de la résolution 1559, mentionnée plus d’une fois très explicitement dans le texte de la 1701.
D’une manière foncièrement pernicieuse, le tandem Hezbollah-Amal et son tuteur iranien se rabattent sur la supercherie, sur la politique du mensonge “à la libanaise”, pour tenter d’imposer comme un fait acquis sa lecture réductrice de la 1701, de façon à vider la résolution onusienne de sa substance et de son véritable contenu, en ne retenant que le volet relatif au cessez-le-feu. Le but de la manœuvre sur ce plan est clair et ses conséquences sur le moyen terme paraissent évidentes: le Hezbollah cherche à reprendre son souffle, à se réorganiser au niveau de sa structure interne après les très lourdes pertes subies, et il tirera surtout profit d’un éventuel cessez-le-feu pour se réarmer, faire le plein de ses munitions et redéployer, progressivement, sa milice au sud du Litani, puisqu’il aura neutralisé le volet de la 1701 portant sur l’application des mesures mettant un terme à toute présence milicienne dans le pays.
Si l’axe iranien parvient de la sorte à imposer sa supercherie dans la lecture de la résolution onusienne, le pays sera reparti pour un nouveau conflit armé dans quelques années, dans le sillage de la stratégie d’édification d’une société guerrière au Liban que le Hezbollah suit depuis les années 1990, parallèlement à son entreprise de déconstruction de l’État central et des secteurs vitaux du pays, mise en place depuis 2005.
Après la tragédie dans laquelle le parti pro-iranien a plongé la population du fait de la réactivation du front du Liban-Sud, il est sans doute grand temps de se départir de cette politique du “mensonge réciproque” qui a longtemps caractérisé la vie publique au Liban. Il est effectivement grand temps de jouer cartes sur table, d’affronter la réalité en face sans détours et de réaffirmer haut et fort le refus d’entraîner encore une fois le pays dans un nouveau cycle de conflits armés sans horizon, dont le seul aboutissement serait l’édification d’une société guerrière au service d’un projet théocratique sectaire transnational ancré sur les ambitions hégémoniques d’une puissance régionale.
Tel est aujourd’hui, plus que jamais, l’enjeu véritable de l’application de la résolution 1701 dans son intégralité, loin de toute supercherie, de demi-mesure et des solutions de compromis boiteuses qui ne font que frayer la voie à de nouveaux cycles successifs de violence dont nul ne verrait la fin et l’objectif véritable.
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