En Cisjordanie, les malades risquent leur vie pour se soigner à l'hôpital de Jénine
Des enfants regardent le cortège funèbre de Hanan Abdel Rahman Abu Salama, 59 ans, tuée par des tirs israéliens alors qu'elle cueillait des olives dans le village de Faqoua, en Cisjordanie occupée, près de Jénine, le 17 octobre 2024. ©Zain JAAFAR / AFP

Devant l'hôpital de Jénine en Cisjordanie occupée, la route est impraticable, éventrée par l'armée israélienne lors d'une récente opération. Et pour certains patients comme pour les ambulances, impossible de se frayer un chemin entre les monticules de déchets et la boue.

"C'est extrêmement difficile, et même dangereux, pour les patients d'arriver à l'hôpital pendant les affrontements", souligne le directeur de l'hôpital, Wissam Baker.

"Surtout ceux qui ont besoin d'un suivi régulier comme les dialysés, les femmes enceintes, ceux qui suivent une chimiothérapie", ajoute-t-il, des patients risquant leur vie si leur traitement est retardé.

En un an, l'armée a mené plusieurs incursions, qualifiées d'"opérations antiterroristes", dans le camp de réfugiés de la ville considérée comme un bastion de groupes armés palestiniens.

Personnel soignant et habitants affirment que des ambulances ont été touchées par des tirs de l'armée et systématiquement fouillées. Ils racontent également que les abords de l'hôpital public ont été bouclés.

Hazem Masarwa, ambulancier depuis des décennies dans le camp, dit que ses conditions de travail sont très compliquées.

"Avant le 7 octobre 2023, on rencontrait peu d'obstacles", se souvient-il.

Désormais, "ils (l'armée israélienne) ferment l'entrée des hôpitaux, c'est devenu systématique", assure-t-il, disant avoir vu deux personnes mourir par manque de soins en un an dans le territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967.

En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, aussi occupé, le Croissant-Rouge palestinien a enregistré depuis un an "804 violations" de ses missions médicales et 14 personnes décédées "parce qu'on les a empêchées de recevoir les services médicaux d'urgence dont elles avaient besoin".

Sollicitée par l'AFP, l'armée a répondu que ces récits étaient "faux" , arguant que des ambulances avaient été utilisées "abusivement" par des "terroristes" et qu'elle tentait de "réduire le délai" de prise en charge des patients.

"Il peut mourir"

Dans la nuit du 1er au 2 septembre, alors que l'armée israélienne opérait dans le camp depuis dix jours, Oumayma Awadin était sur le point d'accoucher avant qu'une ambulance ne parvienne à venir la chercher chez elle.

Elle a erré pendant quatre heures, au gré des ordres et contre-ordres de l'armée israélienne, les contractions se rapprochant.

Elle arrive finalement dans un hôpital privé où elle donne naissance à son fils, mais lui comme elle souffre de complications.

Les patients entrent dans l'hôpital les chaussures pleines de boue mélangée à la poussière, raconte un infirmier des urgences. Dans la rue, les canalisations souterraines, abîmées par les bulldozers, laissent s'échapper les odeurs d'égouts.

"Est-ce qu'on peut vivre comme ça ?", demande Najet, la femme d'un patient dialysé, après avoir décrit le suivi incomplet de son mari depuis des mois.

"Israël continue à attaquer la Cisjordanie en parallèle de la bande de Gaza, pas seulement avec des armes, mais aussi en empêchant les gens d'avoir leur traitement", explique-t-elle, "mon mari peut mourir s'il n'a pas de dialyse".

Elle tente de s'organiser pour qu'il puisse continuer à accéder à l'hôpital, mais il faut "quelqu'un qui puisse aider avec le fauteuil roulant" ou "une ambulance privée, mais ça coûte cher".

M. Baker explique que l'hôpital a organisé des transferts de patients vers d'autres hôpitaux, notamment à Naplouse (nord), et des ONG forment même les habitants aux premiers soins, mais personne n'estime que la situation s'améliore.

Oum Akram a quitté le camp pendant l'opération militaire fin août, elle ne voulait pas prendre le risque que sa fille, qui souffre d'hypertension, passe "dix jours sans médicament".

À son retour, la maison était "sens dessus dessous", selon elle des soldats s'y étaient installés. 

Mais c'était, pour elle, le prix à payer pour la santé de sa fille.

Avec Chloe ROUVEYROLLES-BAZIRE / AFP

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