Le Moyen-Orient et la fin des impostures

La guerre poursuit son parcours alors que les médiations font long feu les unes après les autres. La redondance des démarches politiques atteste la fin d’un ordre régional dont les supports défaillants sont en fin de parcours. La désertification du champ politique régional gagne en étendue et la désillusion s’empare de part en part, et tout n’est que ruine. L’islam politique et ses dérives totalitaires, les régimes dysfonctionnels en place, et la prépondérance de la violence n’étant que l’envers d’un nihilisme sans fond. Les attaques du 7 octobre 2023 n’ont fait que dévoiler les réalités d’un univers politique et moral en état de décomposition avancée où plus rien ne tient. 

La contre-offensive israélienne en s’attaquant aux rapports de force mis en place par la politique de puissance iranienne a non seulement détruit les équilibres illusoires d’une mainmise qui s’est emparée des friches sécuritaires et politiques d’un univers politique entièrement désagrégé, mais elle a mis la région sur une nouvelle trajectoire politique et l’inévitabilité de sa restructuration. La destruction de la plateforme opérationnelle iranienne au Proche-Orient est fortement corrélée à la chute de la République islamique d’Iran et à la normalisation politique entre Israël et l’Iran. La fin de l’hégémonie iranienne est le prélude aux bouleversements stratégiques et politiques qui vont lui succéder.

L’assassinat de Yahya Sinouar, quelles qu’en soient les conséquences politiques immédiates, met fin à une ère politique faite de compromis douteux et de composition boiteuse avec des enjeux politiques devenus ingérables. Le règlement éventuel de la question lancinante des otages israéliens, la fin éventuelle de la guerre à Gaza, la poursuite du chantage criminel du Hamas et du Hezbollah, de l’instrumentalisation des boucliers humains et de la politique intentionnelle de victimisation, ne changeront en rien la donne politique et stratégique en émergence. Il n’est plus question de la solution des deux États qui a structuré les démarches diplomatiques, ou de l’aménagement des rapports avec les irrédentismes palestiniens et avec la politique de domination chiite pilotée par l’Iran et ses mandataires. Le schéma directeur qui a prévalu jusque-là est entièrement remis en question et les protagonistes du conflit pérenne sont invités à revoir leurs grilles de lecture et leurs modes d’action. 

La fin des combats marquera la fin d’une ère, de ses acteurs et d’un univers politique parti en fumée. Nous sommes face à un état de chaos et à des paysages politiques informes qui font appel à un travail de recadrage inédit où toutes les hypothèses de travail sont à l’épreuve. Il est inconcevable de parler de solution politique effective sur la base de prémisses politiques périmées et négociées avec des acteurs politiques d’un autre âge. L’effondrement du communisme dans les années 90 et l’imagination de ses alternatives ne pouvaient en aucun cas recycler des récits en état de péremption ou engager des discussions avec les épigones de l’époque communiste. 

Nous avons affaire aux mêmes apories créées par l’effondrement du communisme. La solution de la question israélo-palestinienne est à repenser à nouveaux frais tant sur les plans sécuritaire et stratégique qu’au niveau de la configuration géopolitique, l’hypothèse d’une confédération jordano-palestinienne et d’un marché économique intégré pouvant servir de modèle. Ce scénario n’est rendu possible qu’avec les nouveaux rapports de force, la défaite des islamistes iraniens et palestiniens, la restructuration du partenariat israélo-palestinien sur la base de la réciprocité morale et du règlement négocié. La mort emblématique de Yahya Sinouar, de Hassan Nasrallah, devrait amener à la réflexion des extrémistes peu soucieux de comptabilité et des désastres encourus par des populations civiles entraînées à leur insu dans des engrenages conflictuels. Autrement, leur défaite et leur capitulation sont venues à terme. 

Les changements au Liban dépendent de l’élimination militaire et politique du Hezbollah et de sa mise au ban de la vie politique libanaise, ce qui, en d’autres termes, suppose des retournements politiques majeurs dans une communauté chiite qui demeure largement acquise à la vision totalitaire prônée par ce parti et délibérément liée aux intérêts stratégiques et de criminalité organisée qui ont restructuré les rapports socio-économiques au sein de cette mouvance religieuse convertie en conglomérat mafieux internationalisé. Il est impossible de stabiliser le Liban, de le réformer et de restructurer l’État de droit avec le maintien des extraterritorialités juridiques et politiques et des zones de non-droit sanctionnées par les politiques interventionnistes qui ont scandé sa vie politique et nationale pendant sept décennies. 

La destruction du Hezbollah est préjudicielle à tout échange politique intérieur et antérieure à la finalisation des accords intérimaires qui devraient paver la voie aux accords politiques de transition, aux réformes institutionnelles et à la préparation aux négociations avec l’État israélien sur la base de consensus stratégiques, d’un traité de paix et d’une normalisation graduelle des relations entre les deux peuples. Tout le bavardage politique qui prédomine dans la vie politique libanaise et sa doxa antisémite devrait céder la place à un dialogue rationnel où la discursivité remplace les scotomes idéologiques qui font obstacle à toute démarche irénique et de réconciliation.

Le retournement spectaculaire induit par la contre-offensive israélienne nous met en phase avec des bouleversements stratégiques inédits qui peuvent inaugurer l’ère de paix inespérée dans cette région. En déjouant la politique iranienne de la "ceinture de feu", Israël change la donne stratégique et idéologique de manière irréversible et remet la région du Moyen-Orient sur le chemin de la normalisation qui devrait préluder et encadrer les mutations géostratégiques et paver la voie aux politiques réformistes qui devraient sortir cette région des enfermements du politico-religieux, des ornières d’une modernité échouée et de la violence nihiliste qui s’en est accaparée. Les mutations militaires et stratégiques vont bien au-delà de leurs périmètres opérationnels, car elles remettent en cause un ordre régional et ses étayages idéologiques, géopolitiques et institutionnels.

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