Témoignage d’un Beyrouthin qui craint pour sa ville
Des dizaines de milliers de déplacés ont convergé vers Beyrouth ©Mahmoud Youssef

À mesure que les combats s'intensifiaient dans le sud du Liban entre l'armée israélienne et le Hezbollah, des dizaines de milliers de déplacés ont convergé vers Beyrouth, où ils ont été accueillis à bras ouverts.

Les Beyrouthins leur ont ouvert leurs maisons et offert un accès à leurs écoles et à leurs restaurants pour abriter ceux qui fuyaient la mort, qu'ils soient originaires du Liban-Sud, de la Békaa ou de la banlieue sud de Beyrouth.

Cependant, cet exode est ponctué de récits plus sombres, ceux d’un chaos et d’abus. Il suffit de parcourir les rues de la ville pour entendre des centaines d'histoires d'habitants dont les maisons ont été prises d’assaut par des déplacés affiliés au mouvement Amal et au Hezbollah.

À titre d’exemple, le propriétaire d'un appartement à Koraytem, installé à Dubaï, m'a raconté qu'à minuit, il a reçu un appel du gardien de l’immeuble l'informant que des étrangers se trouvaient chez lui.

L’homme a immédiatement appelé des membres de sa famille, qui se sont précipités sur les lieux. À leur arrivée, ils ont découvert que la porte était verrouillée et qu'il était impossible d’accéder à l’appartement. Les déplacés avaient défoncé la porte, après s’être rendu compte que l'appartement était vide, et avaient remplacé la serrure.

Les forces de sécurité sont alors intervenues et leur ont accordé quarante-huit heures pour quitter les lieux.

Trois semaines ont suffi pour que la ville se transforme. À Aïn el-Mreisseh, Raouché ou Ramlet el-Baida, des tentes sont dressées un peu partout. Des habitations temporaires, entourées d'une foule dense de jeunes motards qui n’hésitent pas à provoquer les passants.

Au milieu de ces rassemblements, des narguilés et des étals de tous genres prolifèrent, bien gardés par des centaines de motos qui semblent former un rempart autour de ce désordre.

La rue Hamra, quant à elle, a une histoire particulière: les habitants de Ras Beyrouth ont fini par la surnommer “Laylaki" en référence à l’un des quartiers de la banlieue sud de Beyrouth. Les narguilés s’entassent sur les trottoirs, tandis que chaque recoin de rue est occupé, les déplacés refusant de se rendre dans des lieux plus décents où ils peuvent être accueillis.

Au cœur de ce tumulte, des armes à feu sont exhibées ouvertement, ajoutant une couche à la tension palpable à cause du chaos ambiant.

On est en droit de se poser la question suivante: que se serait-il passé si les habitants de Beyrouth s’étaient déplacés vers Bint Jbeil et Nabatiyé, en agissant comme le font actuellement les déplacés du Hezbollah et d’Amal à Beyrouth? Quelle aurait été la réaction des habitants? Accepteraient-ils l'encombrement des trottoirs, la prolifération des narguilés, les armes individuelles exhibées, le manque de respect et les atteintes aux biens publics et privés? Se sentiraient-ils rassurés de voir des armes dirigées sur eux plutôt que sur l'ennemi israélien?

Il ne s’agit pas en l’occurrence de simples questions, mais d’un véritable défi qui illustre une épreuve difficile face à une réalité complexe pesant sur le Liban et sur Beyrouth. Avant l'émergence du Hezbollah et la mainmise de l'Iran, Beyrouth avait fait face à l’occupation israélienne et ses fils sont morts pour défendre le Liban, sa souveraineté, son indépendance et sa liberté.

Beyrouth a changé de visage à cause du facteur iranien. Et c’est toujours la même rengaine lorsque des scènes provocantes dans les rues de la ville sont critiquées. Les accusations de sionisme fusent immédiatement. Lorsque les forces de sécurité ou l'armée libanaise interviennent pour évacuer un bâtiment occupé par des déplacés, ils se retrouvent taxés de sionistes. Ceux qui s'opposent à Israël ou qui rejettent la présence d'armes illégales sont aussi stigmatisés.

Cet article aussi va subir le même sort, car des trolls en ligne ne manqueront pas de le relayer sur Twitter en affirmant que je suis sioniste.

Je ne suis pas sioniste... Je suis Beyrouthin, et j'ai peur pour ma ville, pour mon identité et pour ma famille. Je ressens une profonde tristesse face au chaos qui prévaut. Pourquoi tant de rancœur envers Beyrouth, qui ouvre ses bras à tous ceux qui la visitent, les marquant d’une empreinte positive inoubliable?

 

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