Crise des déplacés: les enjeux du plan gouvernemental et des maisons préfabriquées
Des femmes déplacées se tenant sur le balcon d'une école, transformée en centre d'hébergement pour les personnes déplacées, dans la capitale Beyrouth, le 14 octobre 2024, alors que la guerre entre le Hezbollah et Israël se poursuit. ©AFP

Pour reloger les déplacés dont les habitations ont été détruites du fait de la guerre en cours au Liban entre le Hezbollah et Israël, le gouvernement a prévu un plan. Mercredi, la décision a été prise de construire des maisons préfabriquées destinées à accueillir une partie des quelque 1,2 million de déplacés. De quoi s’agit-il?

À l’approche de la saison hivernale et au vu du nombre croissant de personnes qui ont trouvé refuge dans les rues de la capitale libanaise, assurer des logements d’urgence à ces populations dévastées fait désormais partie des priorités des autorités libanaises. Initiative qui n’est pas sans défis, tant sur le plan logistique que sur les plans économique et social.

Pourquoi une telle solution?

Dans le contexte libanais actuel, les maisons préfabriquées présentent plusieurs avantages, explique Mona Harb, professeure d'Études urbaines et de Sciences politiques à l'Université américaine de Beyrouth.

D’une part, “elles peuvent être rapidement installées, ce qui est essentiel pour répondre aux besoins pressants des déplacés”, indique-t-elle. “Les premiers logements pourraient être disponibles dans un délai de quelques semaines”, souligne-t-elle. Mais pour cela, deux conditions doivent être remplies: un déblocage rapide des fonds et une bonne organisation du projet, dépourvue de toute ingérence. Or, les expériences précédentes ont montré que les projets de reconstruction au Liban sont souvent ralentis par des obstacles bureaucratiques, des luttes d’influence politique ou des problèmes de financement.

D’autre part, et selon les spécialistes en urbanisme, la valeur des maisons préfabriquées est généralement inférieure à celle des logements conventionnels, une considération majeure dans un pays dont l’économie est en pleine décrépitude. Sachant que le financement d’un tel projet de construction se ferait, comme l’a signalé le ministre sortant de l’Environnement, Nasser Yassine, via des pays amis arabes donateurs, le coût total dépendrait du nombre d’unités à construire, du type de matériaux utilisés et de la durée de vie prévue pour ces habitations. Une estimation approximative pourrait se chiffrer, toujours selon les spécialistes, en centaines de millions de dollars.

De plus, les matériaux utilisés pour ces maisons préfabriquées sont souvent plus légers, plus modulables et peuvent être adaptés aux différentes conditions climatiques.

C’est sur la Turquie que le choix du gouvernement serait tombé, selon des informations préliminaires, pour l’importation de ces maisons, du fait notamment de son expertise et de sa proximité géographique. Ankara, qui possède une industrie bien développée dans le domaine des constructions préfabriquées, aurait donc été identifiée comme partenaire clé pour ce projet. Depuis plusieurs années, la Turquie exporte des infrastructures temporaires et des solutions modulaires vers de nombreux pays en situation d’urgence humanitaire.

Quid des sites?

Destinées à être construites dans des zones spécifiques, notamment à Beyrouth et au Liban-Nord (comme confié par une source proche du ministère des Travaux publics), les maisons préfabriquées constituent une solution temporaire. Pour ce faire, le gouvernement “pourrait envisager d’ériger ces unités sur des terrains appartenant à l’État et éloignés des zones de combat, tout en répondant aux contraintes d’espace et d’infrastructures disponibles”, affirme Mme Harb. D’après elle, le recours à Solidere, la société privée chargée de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth, serait une éventualité, avec notamment “les espaces vacants du Biel qui connaissent une concentration importante de tentes installées”. Il convient de rappeler que depuis l’intensification des affrontements entre le Hezbollah et Israël, environ un million de personnes ont été appelées à quitter leurs villes et leurs villages d’origine. Pour remédier à cette vague de déplacement, les écoles publiques ont été aménagées, par une décision du ministre sortant de l’Éducation, Abbas Halabi, de sorte à pouvoir les accueillir.

Enjeu social

Si le nombre de déplacés à reloger dépend de l’ampleur des destructions récentes, les estimations indiquent qu’il pourrait y avoir des dizaines de milliers de personnes à abriter. Le choix des régions dans lesquelles ces habitations seraient installées pourrait dépendre de facteurs politiques et sociaux, pour éviter surtout de provoquer des tensions communautaires ou démographiques. Pays aux équilibres sectaires fragiles, le Liban a toujours été particulièrement sensible à la question des migrations internes. Si ces déplacés s’installent de manière définitive dans des régions autres que leurs zones d’origine, cela pourrait perturber l’équilibre démographique existant et causer des tensions intercommunautaires. Cela pourrait aussi exacerber les inégalités économiques et les ressentiments sociaux, surtout si les populations locales estiment que les déplacés bénéficient d’une aide disproportionnée.

Selon Mme Harb, “il s’agit, en principe, d’une solution temporaire” puisqu’un “projet de reconstruction des quartiers et des villages dévastés sera nécessairement en vue, une fois la guerre finie”. Les déplacés retourneraient indubitablement chez eux, estime-t-elle, “surtout qu’il est question de citoyens libanais attachés à leurs terres et régions d’origine”.

Éprouvé par une crise économique sévère et par l’effondrement de ses infrastructures publiques, le Liban peine à absorber cet afflux soudain de personnes en situation de vulnérabilité. Si le plan du gouvernement est perçu comme une initiative nécessaire pour éviter une crise humanitaire plus grave, il n’en reste pas moins controversé.

Commentaires
  • Aucun commentaire