La guerre au Liban, un catalyseur des maladies infectieuses
Des bénévoles déchargent une aide humanitaire fournie par des ONG via le ministère libanais des Affaires sociales dans le village sud-libanais de Qlayaa, le 12 octobre, alors que la guerre bat son plein entre le Hezbollah et Israël. ©AFP

À l’heure où le Liban fait face à une intensification des conflits, les conséquences sanitaires pourraient s’avérer désastreuses. Aujourd’hui plus que jamais, il est urgent de renforcer la vigilance face aux épidémies potentielles.

Face à l'escalade des hostilités entre Israël et le Hezbollah, le Liban se retrouve à un tournant critique. Et cela, pour plus d’une raison. Cette crise a engendré des conséquences dévastatrices pour le pays, se traduisant par des destructions matérielles massives, un exode incessant des habitants des zones affectées par la guerre, ainsi qu'une dégradation alarmante des conditions de vie d'un nombre croissant de déplacés. Ces facteurs cumulés pourraient entraîner d’importantes failles dans le système de santé publique, augmentant ainsi le risque d’épidémies. Dans ce contexte, la détection et le contrôle des maladies infectieuses émergentes se posent comme des enjeux majeurs, nécessitant une attention particulière et des interventions appropriées.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les guerres et les crises humanitaires sont souvent associées à une exacerbation des flambées épidémiques. Les conditions d'hygiène, de prévention et de dépistage des infections y sont, en effet, moins rigoureuses. Dans ces zones instables, la capacité des systèmes de santé locaux, souvent défaillants, à gérer les maladies transmissibles suscite de vives inquiétudes. Par conséquent, les pays touchés par des conflits font souvent face à une lourde charge de morbidité et de mortalité, avec plus de 70% des cas de maladies épidémiques recensés à l’échelle mondiale, comme le choléra, la rougeole et la méningite, selon les statistiques de l’organisme onusien. Alors, qu’en est-il du Liban?

Risque accru

Le député Abdel Rahman Bizri, infectiologue et auteur de plusieurs études épidémiologiques, a récemment signalé un “véritable déficit dans la sécurisation des besoins d'hébergement”, mettant en garde contre le risque de propagation des maladies transmissibles. Dans un entretien accordé à la Voix du Liban, il a déclaré que, bien que la situation dans les centres d'hébergement soit actuellement jugée acceptable et qu'aucune épidémie ne soit à signaler pour le moment, des efforts sont déployés pour prévenir toute contamination, notamment en garantissant l'accès à l'eau potable. Ses observations rejoignent celles de l’OMS, qui tire désormais la sonnette d’alarme. S'exprimant depuis Beyrouth, Ian Clarke, directeur adjoint des incidents de l'OMS pour le Liban, a averti lors d'une conférence de presse à Genève le 8 octobre que, face à un accès limité aux soins, le Liban se trouve confronté à “une situation où le risque d'épidémies est considérablement accru”.

Contacté par Ici Beyrouth, le Dr Bizri a précisé que la situation actuelle diffère totalement de celle des réfugiés syriens, qui ont contribué à la transmission de certaines pathologies de la Syrie vers le Liban. “Avec l'exode syrien, nous avons principalement observé, au Liban, une augmentation des maladies infectieuses d'origine hydrique, telles que le choléra, ainsi que des maladies évitables par la vaccination, comme la rougeole, sans oublier l'émergence et la propagation de la leishmaniose cutanée”, explique le médecin libanais, notant que les cas de choléra sont principalement liés à l'afflux d'individus en provenance de Syrie, où une flambée épidémique était en cours. D'après une analyse génomique réalisée par l'équipe du Dr Ghassan Matar et publiée dans Nature Communications en août 2024, l'épidémie de choléra au Liban entre 2022 et 2023, associée à des réfugiés syriens, a révélé deux souches distinctes: l'une originaire d'Asie du Sud et l'autre du Yémen. “Cela est probablement lié aux déplacements de combattants progouvernementaux et antigouvernementaux en provenance de divers pays durant la guerre syrienne”, explique le Dr Bizri.

Réalité épidémiologique

“Aujourd’hui, la situation est complètement différente, répète-t-il. Les déplacements internes n'altèrent pas de manière significative la réalité épidémiologique. Ils ont toutefois conduit à un phénomène de surpopulation, augmentant la transmission des maladies cutanées.” À cet égard, plusieurs cas d’infestation parasitaire de la peau, en particulier la pédiculose (infestation des cheveux et du cuir chevelu par des poux) et la gale, ont été signalés dans certains centres, mais ils ont été rapidement pris en charge. “Il est crucial de surveiller ces cas, car la propagation de ces parasites peut être rapide”, commente l’infectiologue. Les shampooings, lotions et crèmes antiparasitaires sont actuellement disponibles au Liban, tant en pharmacie qu'à travers les centres de soins primaires.

Par ailleurs, le Dr Bizri note que le risque de transmission de maladies infectieuses liées à l'eau demeure préoccupant, en raison du manque d'infrastructures sanitaires adéquates dans les centres d'hébergements. L’absence de mesures d'assainissement appropriées aggrave cette situation, exacerbant le risque de propagation des pathogènes, à l’instar du virus de l’hépatite A et de Vibrio cholerae, la bactérie responsable du choléra. Les enfants sont particulièrement vulnérables aux maladies diarrhéiques causées par des agents pathogènes présents dans l'eau non traitée. “Une campagne de vaccination contre le choléra avait été initiée en amont du conflit, dans le but de contenir et de prévenir les épidémies, en particulier dans les villages frontaliers de la Syrie. À présent, la guerre menace de compromettre ces efforts”, se désole le député de Saïda.  

Facteurs propices

En outre, les pratiques de cuisine collective amplifient les risques de contamination croisée, lors des différentes étapes de préparation, de transport et de service, et en cas de non-respect de la chaîne du chaud et du froid. “Récemment, plusieurs cas de gastro-entérites et de diarrhées aiguës ont été signalés dans les centres, mais ils ont été rapidement pris en charge”, affirme le médecin, lui-même membre de la commission parlementaire de la Santé. Alors que l'hiver approche, des inquiétudes se font également jour quant à la transmission de maladies respiratoires, en l’occurrence les infections respiratoires aiguës, telles que la grippe, les pneumonies, les bronchites virales ainsi que la rougeole et le Covid-19, qui peuvent “se propager rapidement dans les milieux communautaires et nuire à la santé des personnes les plus vulnérables”. Et le Dr Bizri de conclure : “Tous les facteurs susceptibles de favoriser l'émergence de potentielles épidémies sont présents. Cela ne signifie pas nécessairement qu'une épidémie se produira effectivement, mais il est crucial de mettre en œuvre des mesures préventives appropriées pour en atténuer le risque”.

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